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 Quelques questions anthropo-logiques autour du religieux

 

Introduction : mais où sont donc passés nos auxiliaires ?

La découverte des langues fondatrices de la civilisation méditerranéenne et moyen-orientale est une expérience forte et enrichissante, qui renvoie à la fois à une proximité culturelle structurante, et à une distance épistémologique étonnante. Ainsi, dès l’entrée, une particularité saute aux yeux, qui ne laisse pas d’interroger l’impétrant ou l’apprenti linguiste : les différentes langues et parlers dits de la région du « croissant fertile », hébreu, arabe, araméen chaldéen, copte…expriment le quotidien ou le périphérique en se donnant des moyens excluant l’emploi de deux verbes essentiels parmi ceux utilisés dans les langues occidentales, les verbes « être » et « avoir ». Des périphrases, pronoms ou des prépositions viennent à la rescousse et en remplacement de ces absences dont on dirait côté occident qu’elles nuisent et obèrent d’emblée toute forme de détermination et de définition. Ce phénomène, difficilement compréhensible à priori, pourrait avoir un début d’explicitation. Un regard rapide sur les monothéismes[1] fondateurs de cette civilisation va peut-être nous éclairer.

 

Ø  La grande régression du monothéisme : captation de l’être, et fabrication d’humanoïdes associés ?

¨      Translittération de l’hébreu ancien יהוה, YHWH est le  nom et tétragramme de Dieu dans la Bible hébraïque ; il est composé des quatre lettres yōḏ (י), (ה), wāw (ו) (ה) - cf Exode II, 14. Selon la tradition juive, ce nom, dont on ignore la vocalisation et donc qui ne peut pas être prononcé, et entendu, est  ineffable.

Ces quatre lettres, YHWH composent le terme le plus sacré de la Thora et de la langue écrite hébraïque.  Les Juifs ne le prononcent jamais, exception faite de leur grand prêtre au temple de Jérusalem une fois par an, le jour de la fête du grand pardon (yom kippour)[2]. Cette évocation orale s’appuie sur une voyellisation massorétique empruntée au terme Adonai  

( אֲדֹנָי ), autre métonymie de dieu. C’est le « Dieu le Père » des catéchismes chrétiens… En hébreu, ce mot contient toutes les formes du verbe HYH, « être », de sorte que YHWH pourrait se rendre en français par ‘est-étant -a été-fut-sera’.

« Jusque vers le 7e ou 8e siècle de notre ère, le texte hébreu de la Bible était seulement composé de consonnes. Par respect pour Dieu, la piété juive interdisait de prononcer le nom YHWH : le lecteur effleurait des yeux le mot YHWH et prononçait un autre nom : « Adonaï ». Quand, au huitième siècle, les Massorètes élaborent le système de vocalisation, par adjonction de points et de traits, ils reportent   sur ces quatre lettres, les voyelles du mot « Adonaï ». (Guy Chouraqui)[3].

¨      Bible - Exode, Ch 3[4]

01 Moïse était berger du troupeau de son beau-père Jéthro, prêtre de Madiane…

02 L’ange du Seigneur lui apparut dans la flamme d’un buisson en feu. Moïse regarda : le buisson brûlait sans se consumer.

….

04 Le Seigneur vit qu’il avait fait un détour pour voir, et Dieu l’appela du milieu du buisson : « Moïse ! Moïse ! » Il dit : « Me voici ! »

05 Dieu dit alors : « N’approche pas d’ici ! Retire les sandales de tes pieds, car le lieu où tu te tiens est une terre sainte ! 

06 Et Moïse se voila le visage car il craignait de porter son regard sur Dieu.

07 Le Seigneur dit : « J’ai vu, oui, j’ai vu la misère de mon peuple qui est en Égypte, et j’ai entendu ses cris sous les coups des surveillants. Oui, je connais ses souffrances.

13 Moïse répondit à Dieu : « J’irai donc trouver les fils d’Israël, et je leur dirai : “Le Dieu de vos pères m’a envoyé vers vous.” Ils vont me demander quel est son nom ; que leur répondrai-je ? »

14 Dieu dit à Moïse : « Je suis qui je suis. Tu parleras ainsi aux fils d’Israël : “Celui qui m’a envoyé vers vous, c’est : JE-SUIS”. »

 

¨      A lire le Coran, on retrouve le même phénomène :

Coran sourate 20, verset 9-14 :
9. Le récit de Moïse t’est-il parvenu ?
10. Lorsqu’il vit du feu, il dit à sa famille : Restez ici ! Je vois du feu de loin ; peut-être vous en apporterai-je un tison, ou trouverai-je auprès du feu de quoi me guider .
11. Puis, lorsqu’il y arriva, il fut interpellé : Moïse !
12. --JE SUIS-- ton Seigneur. Enlève tes sandales : car tu es dans la vallée sacrée, Tuwâ.
13. Moi, Je tai choisi. Écoute donc ce qui va être révélé.
14. ---CERTES, CEST MOI--- Allah : point de divinité que Moi. Adore-Moi donc et accomplis la Salât pour te souvenir de Moi.........

Le double tétragramme, יהוה (YHWH ) et الله ALLAH), dont la signification occupe en entier le temps de l’existant, s’est imposé comme appartenant en propre à la divinité, et, de l’hébreu à l’arabe, en passant par les autres langues chamito-sémitiques, jusqu’aux langues ouralo-altaïques (turque) ou slaves (russe….) aucune n’utilisent « être », ce verbe dont les langues latines se servent abondamment, jusqu’à l’appeler au secours d’une déclinaison temporelle défaillante (auxiliaire) ou différencier grâce à lui le conjoncturel de l’essentiel (estar/ ser). Nous venons de le souligner, l’humain n’a pas les mêmes moyens linguistiques de se définir dans sa qualité identitaire puisque le verbe « être » est absent de ces langues du Moyen Orient. Si essence et existence font partie de l’expressivité linguistique, elles s’expriment par des périphrases qui relèvent de la partialité et de l’incomplétude, et qui s’annoncent comme partisanes d’une dépendance qu’un regard fondé sur un héritage gréco-romain pourrait considérer comme infantilisantes et minorant l’être humain en son état.  

Allons plus avant : hors du champ linguistique, le religieux a également une influence directe sur la conception du monde, de la vie, et de l’homme. Ceci bien sûr ne va pas sans difficulté, et les créatures devenues des hommes par une entremise et médiation diabolique dans le non-lieu et l’atemporel paradis, s’approprient à l’envi ce dieu qui est tout et unique à la fois : La maîtrise de l’espace et du temps renvoie à une des priorités civilisationnelles les plus anciennes et les mieux partagées. Les différentes expériences de rencontres sur ces deux aspects des contextes de vie ont la plupart du temps été réglées à partir de réflexes ou stratégies agonistiques, la grande majorité des sociétés ne cultivant que très peu l’irénisme. Il y a alors du paradoxe dans l’air : Dieu, unique et souverain, étant le seul maître du temps, s’est retrouvé souvent empêtré dans des situations dont la loufoquerie dépassait l’entendement. Il devenait « Yahwé, le dieu des combats » ou « dieu des armées, et dieu avec nous – Gott mit uns- », pour sa plus grande gloire (ad majorem Dei gloriam), mais surtout pour garantir une légitimité magique aux envahisseurs de passage. Ce qui était refusé en guise d’accès à une temporalité maîtrisé, était revendiqué en espace(s) à occuper. La tragi-comédie planétaire continue aujourd’hui, sur plus de 20 fronts guerriers.

La dépendance au religieux n’est donc pas seulement affaire de rituels à accomplir, de croyances auxquelles adhérer, et de morale à convenir, elle imprime fondamentalement et résolument l’être au monde, et l’être en soi, pour le réduire à un artéfact phantasmatique et fantomatique. On pourrait alors reprendre ici la seule question à laquelle ne sera jamais répondu, tant que le religieux et les religions imprimeront de façon aussi brutale et essentielle les existences des groupes et des collectifs humains, celle que posait Hamlet : « être ou ne pas être, voici toute la question »[5].

 

  Entre Ibn Khaldoun et Don Quichotte : de l’épiphanie à l’impossible étoile ?

Dieu a donné Dieu a repris : ce fut l’oraison funèbre d’une mère venant de perdre son bébé, déshydraté. (Mali, avril 1971, entre Gao et Bourem)

Quant à l’absence dans ces langues de l’autre verbe et prédicat, « avoir », elle découle à notre avis de la première : si la divinité jouit seule de l’être, et ne fait que prêter une existence, entre accident et conjectures, que peut dire la créature, qui n’a qu’une propriété, celle d’appartenir à une essence lui donnant toute légitimité, ou la lui retirant dans un même geste et une même volonté. La créature ne peut en effet rien posséder qui lui soit définitif et qu’elle pourrait investir dans un ad-venir (posséder s’inscrit en effet dans le temps). « Qui vivra verra » …que dire alors des objets et des leurres auxquels il est d’usage ou d’intérêt, par plaisir ou utilité, d’attribuer une importance, parce qu’ils ou elles faciliteraient les rapports au monde, aux autres, et à soi même ?

Entre illumination et fascination s’impose la fulgurance d’une nécessaire soumission à la divinité, unique, dont l’universel de sa mainmise sur le monde est à l’égal de la force de sa domination sur ses créatures. Du buisson ardent au Sinaï, de la grotte mecquoise à la conquête, des croisades à Canossa, chaque parcelle de pouvoir acquis est au bénéfice de l’avoir divin, dont les serviteurs ne sont que des dépositaires responsables et soumis au jugement (eschaton-yom eddin).

Le refus d’installer genre et famille humaine dans la possession et la conscience bien tempérée de possibles acquisitions matérielles, imaginaires ou symboliques est une assurance pour le monothéisme primitif de rester le seul garant d’un avenir qui est d’une part déjà tracée, et engagé, et dans le même temps, fondamentalement inconnaissable et imprévisible. Demain n’est jamais bien loin, mais n’est jamais sûr. Seul le présent compte tout en s’échappant déjà dans la certitude de son continuel dépassement et achèvement. L’existence n’est plus qu’une fin de non recevoir même si « hodie fugit », et la dépendance reste l’unique repère et l’ineffable promesse.

 

 

A Shakespeare, il nous faut alors associer Aragon :            

                                                           « Rien n'est jamais acquis à l'homme, ni sa force
                                                           Ni sa faiblesse ni son cœur, et quand il croit
                                                           Ouvrir ses bras son ombre est celle d'une croix… »

 

   De la complexité à la manipulation ?

 

Puisque nous sommes sortis du champ linguistique, nous pouvons jeter un œil sur un troisième univers monothéiste, qui a structuré et façonné de nombreux aspects civilisationnels de l’orient à l’occident. A ce 3eme monothéisme, historiquement repérable comme  second, il faut reconnaître une complexité qui a provoqué davantage encore que chez les deux premiers mentionnés plus haut, des variantes et des distorsions telles qu’après des siècles de luttes, exégétiques et apologétiques en diatribes et pamphlets, encycliques et excommunications, une partie de ses adeptes s’est emparée des qualités de l’universalité (catholikoi)[6], d’autres se sont ensuite revendiqués comme seuls tenants de la canonicité (orthodoxoi), et le troisième sous groupe, de l’authenticité (protestants). Tout en restant dans la légalité de la croyance en une seule divinité, le christianisme s’est différencié de ses deux autres cousins en ternarisant rôles, statuts et vertus, mais le plus intéressant de ses mérites est à notre avis d’avoir mis en exergue une fonction qui a constitué une plus value symbolique et une rente de situation voire de prédation à une cléricature, et qui est fondée sur la notion de médiation.

 

Selon le dictionnaire Larousse : « est déclaré média ce qui touche à une chose par une autre qui est intermédiaire ». Définition peu claire mais qui permet d’aller plus loin. Etymologiquement « médius », renvoie à la qualité de ce qui par sa position peut s’interposer, établir un lien mais dans le même mouvement séparer. Les deux branches majeures du christianisme utilisent cette entremise, et la portent à son apogée.  Le relais existe qui permet alors à la créature de se rapprocher de son créateur, par le truchement d’un rituel et de son préposé. Deux exemples suffiront pour éclairer cette approche.

 

Le premier exemple est emprunté au récit biblique dont le christianisme s’est réapproprié le déroulé et en a orchestré et manipulé le sens. Ce monothéisme se fonde en effet sur le sacrifice réussi d’un prophète, élevé au rang divin, qui accomplit un acte total de médiation en s’offrant en rachat d’une originelle transgression qui avait provoqué la cassure, la rupture entre créateur et créatures. La médiation d’un sauveur qui permet la reconstruction du lien entre ces deux polarités est sans doute la plus intéressante des stratégies de conquête et de prosélytisme.

Or ce que ne dit pas le christianisme, c’est qu’il réinvestit cette notion de médiation à ses fins propres, à partir de ce qu’il interprète d’un mythe, déjà présent dans un récit très ancien, lui –même fondateur du premier monothéisme, le judaïsme. La lecture créationniste des premiers versets de la Genèse, chapitre par lequel commence le Livre (Biblios, la Bible ou la Torah), permet en effet de découvrir la présence d’une médiation, et de lui attribuer une valeur déterminante et tout autant symbolique.  Ce terme peut en effet se réclamer d’une référence qui le place dans un champ mythique et voisin du sacré et une herméneutique détachée des injonctions canoniques et patristiques pourrait faire remonter le premier acte de médiation à l’allégation soutenue par le premier traducteur et interprète du message divin, Satan/Shitan.

Bible/Genèse ch3 verset 1 à 24[7]-

01 Le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs que le Seigneur Dieu avait faits. Il dit à la femme : « Alors, Dieu vous a vraiment dit : “Vous ne mangerez d’aucun arbre du jardin” ? »

02 La femme répondit au serpent : « Nous mangeons les fruits des arbres du jardin.

03 Mais, pour le fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : “Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, sinon vous mourrez.” »

04 Le serpent dit à la femme : « Pas du tout ! Vous ne mourrez pas !

05 Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. »

….

22 Puis le Seigneur Dieu déclara : « Voilà que l’homme est devenu comme l’un de nous par la connaissance du bien et du mal ! Maintenant, ne permettons pas qu’il avance la main, qu’il cueille aussi le fruit de l’arbre de vie, qu’il en mange et vive éternellement ! »

23 Alors le Seigneur Dieu le renvoya du jardin d’Éden, pour qu’il travaille la terre d’où il avait été tiré.

24 Il expulsa l’homme, et il posta, à l’orient du jardin d’Éden, les Kéroubim, armés d’un glaive fulgurant, pour garder l’accès de l’arbre de vie.

 

Appelé aussi « le diable » (diabolo = mélange), il peut être considéré comme le premier médiateur, parce qu’il a été le premier à oser une herméneutique en direction d’un auditoire…. Et en référence à une injonction si puissante qu’elle annihilait d’emblée tout essai de distanciation. Premier médiateur également, parce qu’il a été le premier à expliciter le contenu des interdits et les expliquer aux deux créatures, Adam et Eve, auxquels il a donné la liberté de faire, qu’il a poussés à la transgression, et par son œuvre, transformés en êtres pensant, en humains. Leur permettant de se différencier des autres créatures, il a provoqué l’ire et la punition divine, leur sortie du non-lieu et du non-temps, le paradis, et leur entrée dans la finitude terrestre spatio-temporelle. Ne se limitant pas à un simple apport d’information, il a servi de guide mais également de juge, de médecin (se rapprochant en cela des trois sens et fonctions issus de la racine indo-européenne med dans l’antiquité). Il pourrait être l’archétype du médiateur car dans la mesure où celui-ci a pour mission de provoquer la réunion de ce qui est séparé, il doit aussi dire le bien comme le mal, acte paradoxal s’il en est. Nous sommes ici en face d’un récit qui pourrait en appeler à une autre lecture de l’origine de l’humanité, et ceci à travers ce processus de médiation, dont la genèse renverrait alors à Satan qui transforme le message divin, jusqu’à séparer les créatures de leur créateur, et à la fois réunit deux personnes qui se sont découvertes complémentaires et reproductibles. L’humanité est ainsi ce qui s’est passé après la médiation de Satan qui en provoquant l’intelligence, et son corollaire la transgression, a permis copulation et reproduction.

 

¨      « Quand dire c’est faire[8] », entre médiation et trilogie ?

 

Autre exemple, tiré du quotidien festif dont le monothéisme chrétien et ses adeptes se sont emparés en le gratifiant d’une valeur sacramentelle. La médiation entre dieu et les hommes trouve une efficacité très opérante dans le mariage, dont le rituel, orchestré par un officiant, dépasse le simple contrat d’entente matrimoniale et d’accord affectif. Cet événement prend en effet une valeur symbolique très forte qui le projette aux limes du sacré (jusqu’à être appelé sacrement). Il relève en effet de l’intervention d’un médiateur, dont le caractère performatif du discours unit par un lien, et, tout à la fois et dans le même temps, opère un distinguo entre deux individus. Cet acte discursif donne vie et légitimité à une relation humaine qu’il met en valeur et en réciprocité, sous condition qu’elle soit féconde et donc reproductrice. En outre, le rituel religieux du mariage monothéiste, majoritaire dans nos contrées, réinvestit en la mettant en exergue une identité personnelle, qu’il reconnaît, et désigne comme socialement intégrée dans une géographie sociétale. Il rejoue de facto la logique d’exposition déjà performative accomplie par l’acte du baptême, de la circoncision et de la bar mishva en prenant la suite de ce qui a été instituée une première fois par le gallicanisme ou le judaïsme et l’islam primitifs, comme signe d’appartenance à une histoire familiale et religieuse, sur les lieux baptismaux. La réciproque adressée à l’autre membre de la cérémonie, partenaire de l’acte, assure une double fonction, union et distinction : fondation d’une nouvelle unité géographique, couple / famille, et réaffirmation d’une appartenance duale à travers les références identitaires : je vous déclare : - unis par le mariage - mari ET femme.

 

Cette domination, aujourd’hui moins guerrière, de ce qui a été institué comme ecclésia (église) dans les communautés d’humains, est encore aujourd’hui très prégnante dans sa force et son invisibilité. Sorti des campagnes et des pratiques rurales, le phénomène religieux reste encore présent dans les cités urbaines, même si les pratiques des rassemblements hebdomadaires ne font recettes que dans les espaces occupés par sectes et gourous. Dans le monde chrétien, les cloches rappellent une histoire, et la nostalgie des anciennes cérémonies. Leurs clochers abritent encore les moments festifs, constitutifs de l’accès à l’identité et à la reconnaissance sociale. Tout en se définissant comme non pratiquants, une forte minorité de nos contemporains restent adeptes d’un « christianisme festif » et cette option raisonne comme un indicateur d’appartenance et de définition identitaire. Il en va ainsi pour certaines personnes qui n’ont entendu que deux fois, voire trois pour les plus vigoureux, les trois noms qui en font des personnes identifiables : le jour du baptême, de leur mariage, et de l’extrême onction, trois évènements qui scellent l’appartenance sacralisée à une communauté. Trois rites, entrée, maintenance et sortie qui permettent d’acter la réalité d’une adhésion à la trilogie magique, « foi, espérance et charité ».

On pourrait voir à travers les trois moments-clés ou majeurs de « la présentation au temple » du monde, de l’individu, que la religion fait montre d’une logique très éclairée, en s’emparant de la dénomination entière pour s’approprier une forme d’expression identitaire, (la mettre en fichier et la comptabiliser) comme témoignage de ses victoires prosélytes. L’individu ne disposera alors que d’une référence, celle donnée par l’officiant, s’il veut se connaître et se faire reconnaître comme ipse, et non plus comme idem. Beaucoup de Gérard, Charles ou Marie, une seule Marie Antoine Cécile ou Charles Hubert René. Ainsi le relais est là, qui permet à la créature de se rapprocher de son créateur, mais par le truchement d'un rituel et de son préposé.

 

Conclusion

Le contrôle social existe donc, alimenté par les croyances issues des trois grandes religions monothéistes, qui enferment parfois dans une opacité linguistique voire sémantique, les discours produits par les serviteurs de la divinité, au nom d’une légitimité patriarchale et patrimoniale auto-alimentée entre révélation et tradition. Cette distance voulue entre les humbles (humilis), renvoyés à l’humus dont ils excipent (memini quia pulvis es…), et la complexité mystagogique qui leur est présentée, est en effet l’enjeu de la maintenance d’un pouvoir aux formes multiples et diversifiées. A peine sortis d’une période pendant laquelle chacun était fermement convié à rester « chez soi », par crainte de l’extension d’une pandémie inédite et mortifère, les lieux religieux, dont certains avaient été la cause de la dissémination virale sont à nouveau disponibles pour les rassemblements. Ils viennent d’être autorisés à accueillir et recueillir les peurs et les chagrins, d’adeptes auxquel-le-s on ne demandera qu’une prudence très mesurée, en cantiques et psaumes, pendant que sur d’autres terres, continuent à s’enflammer certains de leurs cousins croyants pour leurs pasteurs qui bradent livres et objets « pieux » et bravent la maladie et le mal au nom d’une foi aveugle en la rédemption prophétique et ou christique. Danger !

 

 

 

 

 

 

 

Conseils de lecture

Alain, Propos sur l’Education ;

Aristote, Ethique à Nicomaque ;

Augé, Marc, Une ethnologie de soi ; non-lieux ;

Bataille, L’érotisme ;

 

Cassirer Ernst, Langage et mythe ;

Freud Sigmund, Introduction à la Psychanalyse ;

Hess Remi, Chemin faisant ;

Hobbes, Léviathan ;

Itard, Mémoire sur les premiers développements de Victor de l’Aveyron ;

 

Joly Maurice, Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu ;

Kant Emmanuel, Traité de pédagogie ;

Lenoir Frédéric, Du bonheur ;

Malinovski, La sexualité et sa répression dans les sociétés primitives ;

Mauss marcel, Sociologie et anthropologie ;

Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception ;

 

Rifkin Jérémy, La fin du travail ;

Rousseau, J.J., Emile ou de l’Education ;

Sartre J.P., L’être et le Néant ;

 

Shlomo Sand, Comment le peuple juif fut inventé ;

Volkoff Vladimir, le complexe de Procuste ;

Wacquant Loïc, Punir les pauvres ;

Zweig Stéphan, Conscience contre violence ;                                         

 

                                                                                        

 

                                                                                                    HVG  24.12.2018

           

 

Commentaires :

 

 

 

 



[1] Monothéisme arrivé assez tardivement et précédé d’un polythéisme commun à toutes les religions actant dans le croissant fertile à l’époque des premiers écrits bibliques, et présent dans la genèse (premier chap. de la Bible) qui commence par : « Berechit bara Elohim », Elohim étant un terme employé au pluriel, et qui peut être traduit par « Ceux du dessus »)

[2] the true Divine name was used only by the priests in the sanctuary who imparted the blessing, and by the high-priest on the Day of Atonement. Exode 30:10; Lévitique 23:27-31, 25:9; Nombres 29:7-11 (cf Maimonides- 1154)

[3] Rencontre du 13/09/2010

[4] Traduction AELF Association Épiscopale Liturgique pour les pays Francophones

 

[5] . Une autre option est possible, comme le dit mon ami Magron, puisque « tenir « l’être » pour préalable est une conception qui ne va pas de soi. Elle traverse l’histoire de la philosophie (occidentale), mais c’est peut-être précisément pour cela qu’elle doit être interrogée ». Ainsi, « un des courants qui critiquent cette approche est porté par la philosophie de Levinas, radicale dans la critique de l’ontologie, et qui tente de montrer que la question de Hamlet est précisément une manière de nous enfermer dans une vision ontologique, d’où sa proposition de penser l’ « autrement qu’être » (ou l’« au-delà de l’essence »), en se rapprochant de la vision anthropologique qui appelle à se départir des schèmes occidentaux » et se fonde sur le primat de la relation.

 

[6] « Et cette domination universelle n’interroge-t-elle pas justement le paradoxe du sens de l’universel et de ses apories : comme l’a bien montré Etienne Balibar (Des Universels, Galilée, 2016), le terme est par nature équivoque et contradictoire. Toute prétention à l’universalité se traduit en exclusion. » (Clément Magron entretien du 15/04/2018.)

[7] Traduction AELF, Association Épiscopale Liturgique pour les pays Francophones

 

[8] J.L Austin, "Quand dire c'est faire",  Éditions du Seuil, Paris, 1970 (traduction par Gilles Lane de How to do things with Words: The William James Lectures delivered at Harvard University in 1955, Ed. Urmson, Oxford, 1962)

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