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 Voici deux textes, présentés il y a peu à la réflexion des concourants en français (ESPE?),et parmi d'autres, que m'a envoyés une amie. Merci Maria.
je les trouve beaux, et complémentaires, De plus, ils répondent à certaines des questions que je me pose sur le mot "fraternel", quand il sert à définir les relations familiales mono-générationnelles, et qu'il hérite d'un passé pas toujours glorieux, entre empoisonnements et éliminations chez les gens du pouvoir,les grandes familles, les grecs et les romains, les français et les italiens... et parce qu'il a bien mal commencé, entre Abel le calin, et Caïn le rebelle... la fraternité, celle qui renvoie à la famille, ça pose question: on n'aime pas forcément son frangin, alors fraternel..? par extension, ou par choix d'un frère putatif...on serait donc le plus souvent dans l'approche symbolique? 
Ah les frères des grandes luttes syndicales et ouvrières, des confréries religieuses...entre utopie et mysticisme, où êtes vous? 
 
"Cela vaut aussi bien pour les athées que pour les croyants, aussi bien pour les juifs, les chrétiens, que les musulmans, aussi bien pour les français « de souche » que les immigrés de fraîche ou longue date. Chacun va devoir choisir entre la fraternité universelle ou le repli sur soi, la grande famille humaine ou le repli identitaire. Soit je continue de dire «  c'est mon frère », « c'est ma soeur » en parlant exclusivement de ceux qui ont la même origine, la même croyance ou le même compte en banque que moi, et je rate la marche de ce qui est en train de se passer maintenant en France. Soit je suis capable de mettre mes propres pas dans le sens de l'histoire, et je marche alors avec tous ceux qui veulent aujourd'hui s'engager pour faire exister concrètement, réellement, quotidiennement, la fraternité la plus large. Du côté de tous ceux qui ont compris que la fraternité universelle est la valeur qui a le plus de valeur.

La fraternité est restée pendant trop longtemps la grande oubliée de notre devise républicaine. Or, elle en est le coeur secret : sans elle, la liberté et l'égalité sont un idéal vide, parce que si je ne perçois pas l'autre comme mon frère, que m'importe en réalité son droit à la liberté, et en quel sens abstrait serait-il mon égal ?

Des trois sœurs, c'est elle qui a le plus de génie ! Voilà pourquoi il faut renverser l'ordre de notre devise, la faire passer en premier :  « fraternité, liberté, égalité ». Car elle seule peut empêcher efficacement la liberté de basculer dans l'individualisme. Elle seule peut empêcher efficacement l'égalité de basculer dans l'affrontement entre ceux qui estiment avoir les mêmes droits. Si l'on ne veut pas que s'installe la guerre des libertés et le conflit des égaux, il faut nécessairement qu'ils aient appris d'abord à se considérer comme frères. Il faut qu'ils aient été éduqués à se soucier de la liberté et de l'égalité de l'autre, et de ce souci pour autrui, seul un frère est pleinement capable. Sans expérience de proximité, sans relation d'estime, sans cette amitié sociale dont Aristote déjà faisait la clé de la justice dans la Cité, le maintien de notre liberté et notre égalité ne pourront compter que sur les lois et la police, jamais sur nos coeurs"
 
Abdennous BIDAR, plaidoyer pour la fraternité, 2015, Albin Michel, pp67-69" 

 
"Le boulanger n’avait pas encore dégrafé les rideaux de fer de sa boutique que déjà le village était assiégé, bâillonné, hypnotisé, mis dans l’impossibilité de bouger. Deux compagnies de S.S. et un détachement de miliciens le tenaient sous la gueule de leurs mitrailleuses et de leurs mortiers. Alors commença l’épreuve.

Les habitants furent jetés hors des maisons et sommés de se rassembler sur la place centrale. Les clés sur les portes. Un vieux, dur d’oreille, qui ne tenait pas compte assez vite de l’ordre, vit les quatre murs et le toit de sa grange voler en morceaux sous l’effet d’une bombe. Depuis quatre heures j’étais éveillé. Marcelle était venue à mon volet me chuchoter l’alerte. J’avais reconnu immédiatement l’inutilité d’essayer de franchir le cordon de surveillance et de gagner la campagne.
Je changeai rapidement de logis. La maison inhabitée où je me réfugiai autorisait, à toute extrémité, une résistance armée efficace. Je pouvais suivre de la fenêtre, derrière les rideaux jaunis, les allées et venues nerveuses des occupants. Pas un des miens n’était présent au village. Cette pensée me rassura. À quelques kilomètres de là, ils suivraient mes consignes et resteraient tapis. Des coups me parvenaient, ponctués d’injures. Les S.S. avaient surpris un jeune maçon qui revenait de relever des collets. Sa frayeur le désigna à leurs tortures. Une voix se penchait hurlante sur le corps tuméfié : « Où est-il ? Conduis-nous », suivie de silence. Et coups de pied et coups de crosse de pleuvoir. Une rage insensée s’empara de moi, chassa mon angoisse. Mes mains communiquaient à mon arme leur sueur crispée, exaltaient sa puissance contenue. Je calculais que le malheureux se tairait encore cinq minutes, puis, fatalement, il parlerait. J’eus honte de souhaiter sa mort avant cette échéance. Alors apparut jaillissant de chaque rue la marée des femmes, des enfants, des vieillards, se rendant au lieu de rassemblement, suivant un plan concerté. Ils se hâtaient sans hâte, ruisselant littéralement sur les S.S., les paralysant « en toute bonne foi ». Le maçon fut laissé pour mort. Furieuse, la patrouille se fraya un chemin à travers la foule et porta ses pas plus loin. Avec une prudence infinie, maintenant des yeux anxieux et bons regardaient dans ma direction, passaient comme un jet de lampe sur ma fenêtre. Je me découvris à moitié et un sourire se détacha de ma pâleur. Je tenais à ces êtres par mille fils confiants dont pas un ne devait se rompre. 
J’ai aimé farouchement mes semblables cette journée-là, bien au-delà du sacrifice
 
 René Char, fragment 128, feuillets d'hypnos, 1943-1944, Gallimard, pp 118, 119
 

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