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O tempora, o mores.

 

                                                                             20 07 25              hvg   

 

En écrivant un courriel à un ami, je me suis surpris à douter de la pertinence d'une expression dans l’utilisation que je faisais de l’auxiliaire :

J'ai vu les photos ! que de temps a passé sous le pont Mirabeau...

L’expression exacte était-elle " a passé" ou « est passé » ?

Sans pouvoir éliminer ce doute, et pour aller plus avant, je me suis posé une autre question :

Comment se fait-il que le temps soit interprété dans la plupart de ses emplois au singulier ?

En fait, ne devrait-on pas mettre le pluriel, le temps n'étant qu'une suite de moments, plus ou moins agréables et supportables… Mais jamais un ensemble ou une totalité ! même chose pour le temps qu'il fait... entre nuages et pluie, soleil et orage... tout change, tout bouge,

comme dirait ce vieux grec que j'aurais bien aimé connaître !

"Panta rhei » (Πάντα ῥεῖ)"

 de ce même auteur, une autre apostille complète ou explicite la première :

"La vie est courte, l'art est long, l'occasion fugitive, l'expérience trompeuse, le jugement difficile".

Ah, Héraclite, quel actuel et moderne penseur es-tu ?

Fondateur d'une pensée qui affirme l'éternité de l'univers, plutôt que de questionner son commencement, te voilà à l'origine de deux filiations qui t'ont suivi et respecté dans ta vision du mouvement continue des êtres et des choses, Platon et Aristote.

Même si, en bons héritiers, le premier t'a repris en défendant la permanence des vertus morales, comme la justice. Quant au second, en moquant ta "confusion entre mouvement et changement" et ton engouement pour le substrat du sensible, il t’a reproché ton refus de la substance, 
incarnant stabilité et permanence :

"Comme ils voyaient que toute cette nature sensible était en mouvement, et qu’on ne peut juger de la vérité de ce qui change, ils pensèrent qu’on ne pouvait énoncer aucune vérité, du moins sur ce qui change partout et en tout sens". Métaphysique, livre G, ch. 5, 1010,14 a

La question est donc ancienne, qui a divisé depuis long-temps penseurs et pensées. 
Qui plus est, le temps est à la fois intérieur et extérieur à celui qui l'utilise.

"Je n'ai pas le temps" : pendant combien d’années ai-je combattu cette formule, à pied, à cheval et en voiture, en intimité ou en public, salles ou amphis ? Impertinence majeure et notoire qui se refuse à sortir du mensonge et dire une autre vérité : Je ne peux/veux disposer du temps qui m'est imparti ou qui est mien, et (faire ou dire, agir ou imaginer) l'utiliser pour telle réponse ou tels propos, telle action ou telle réaction... parce qu'il existe

 ailleurs et autrement une priorité qui occupe énergie et volonté.

Cette assertion résonne comme un aveu d’impuissance avérée face à une possible manipulation ou gestion autonome du temps. Elle renvoie à deux aphorismes bien connus « tempus fugit » et " à l'impossible nul n'est tenu". Comme s'il fallait se dédouaner de ne pas (ou n'avoir pas) utiliser le temps, son temps, à faire ou défaire, lire ou écrire, répondre ou questionner… Comme si le quidam bipède se retrouvait prisonnier ou embarqué dans un passage du temps, limité, organisé. Nous serions alors des passagers du temps, sommés de faire avec, et métaphoriquement placés/déplacés sur un navire flottant au gré d'un vent incertain et indocile, ou dépendant d'un mystérieux capitaine, ou barreur, qui assumerait seul, vitesse, direction, étapes, durée et destinée. Temps du dedans, personnel, mais qui échappe à l'intention intime ou emporte toute envie et tout pari.

Et puis, il y aurait le temps du dehors, temps extérieur à l'individu, dont il ne peut/ veut disposer ou utiliser, un temps qui à priori ne lui appartient pas mais qui lui permettrait par exemple de réduire au silence (temps de parole) un ou une partenaire ou collocutrice. Et ce temps du dehors est le plus souvent représenté et spécifié par une mesure, celle imposée par Chronos, reprise sur une montre ou une horloge. De secondes en minutes, puis en heures et journées, ce sont des moments qui passent, dans lesquels chacun peut s'insérer ou desquels on peut se désintéresser parce qu'il peut exister encore et toujours, ailleurs et autrement une priorité qui accapare énergie et volonté.

Alors dans ce cas, le temps ne se « compte » plus, et les modalités dites objectives de mesure sont oubliées. Ainsi s'affirme telle période de la vie qui occupe ou a occupé fortement et intensément les dires et les faire(s), ainsi peut s'identifier tel moment qui nous va à ravir, ou désespère. Court ou long, qu'importe puisque la seule mesure reste l'investissement physique, cognitif, affectif ou émotionnel, 
qui atteindra la personnalité, son caractère ou son tempérament.

A contrario, on peut envisager un découpage temporel né d’une intelligence démiurgique, qui organiserait, sans peur et sans reproche, faits et récits, imaginaires et phénomènes, artéfacts et artifices, pour instiller ordonnancement et priorités.

 

N’est-ce pas nécessaire ici de relire l'Ecclésiaste, partie d'un livre adulé par certains, croyants s'il en est, mais largement oublié par d'autres ?

 

01 Il y a un moment pour tout, et un temps pour chaque chose sous le ciel :

02 un temps pour donner la vie, et un temps pour mourir ; un temps pour planter, et un temps pour arracher.

03 Un temps pour tuer, et un temps pour guérir ; un temps pour détruire, et un temps pour construire.

04 Un temps pour pleurer, et un temps pour rire ; un temps pour gémir, et un temps pour danser.

05 Un temps pour jeter des pierres, et un temps pour les amasser ; un temps pour s’étreindre, et un temps pour s’abstenir.

06 Un temps pour chercher, et un temps pour perdre ; un temps pour garder, et un temps pour jeter.

07 Un temps pour déchirer, et un temps pour coudre ; un temps pour se taire, et un temps pour parler.

08 Un temps pour aimer, et un temps pour ne pas aimer ; un temps pour la guerre, et un temps pour la paix....

11 Toutes les choses que Dieu a faites sont bonnes en leur temps. Dieu a mis toute la durée du temps dans l’esprit de l’homme, mais celui-ci est incapable d’embrasser l’œuvre que Dieu a faite du début jusqu’à la fin.

12 J’ai compris qu’il n’y a rien de bon pour les humains, sinon se réjouir et prendre du bon temps durant leur vie.

 Ecclésiaste, Ch. 3

L'intéressant dans l'histoire n'est pas que le temps ici soit découpé en actes de faire, et que chaque activité doive prendre sa place aux fins d'une régulation équilibrante du quotidien, mais que l'auteur semble dire deux choses : Dieu a donné à l'homme le temps. L'homme ne peut l'embrasser dans toute sa durée. En conséquence et en conclusion :

Il n’y a rien de bon pour les humains, sinon se réjouir et prendre du bon temps durant leur vie.

Message de sagesse qui plane encore sur quelques esprits convertis, mais qui ne convainc plus grand monde, le présent étant aujourd'hui, non celui des dieux, mais celui de l'information, utile ou occupationnelle, vraie ou fausse, diligentée ou instinctive, de bon aloi ou de méchante intention.

Pour exemple, voici comment est accompagné le temps, quand il est décrit sur le net (chrisprofenligne.blogspot.com 2024/01), en 40 expressions que je me suis permis de regrouper en unités thématiques supposées :

- Temps qui passe et temps libre, gagner du temps,  (à) temps perdu, temps mort, plein, partiel et d'arrêt, à temps et à contre temps :  Voici donc le temps qui se conjugue avec des qualités, l'emmenant à emprunter à ces mêmes qualités une fonction symbolique et métaphorique qui fait sens, preuve en est les emplois nombreux et courants de ces expressions.
 
- temps doux, maussade, d'orage, pluvieux :  Là, il s'agit de bien autre chose... mais c'est un espace-temps qui dit la complexité de la conjugaison entre temps qui passe et temps qu'il fait... les deux sont évidemment et éminemment liés, quoique ?


- temps nécessaire, limité, d'attente, de crise, de travail, de loisirs, de réflexion, de retrouvailles, inestimable : inscription de la temporalité comme guidant toute action et la définissant dans une appartenance à un mode occupationnel ou existentiel.

 

- temps fixe et temps qui s'écoule, temps suspendu, incertain, éphémère : Nous revoici dans la discussion précédente : Héraclite ou Aristote ? 

-temps de la jeunesse, temps de préparation, d'exécution ou d'apprentissage, d'économie, de remise en question, temps mortel : Entrainement dans une succession d’étapes qui disent les modes et les modèles, les coutumes et les traditions.

 

- Temps immémorial :  La mémoire est là, qui dit le temps passé ou l'oublie. Qui fait fonction de régulateur en évitant que s'accumulent tous les temps d’avant, qu'ils se bousculent et se mélangent, et que cet agglomérat indigeste ne favorise la mort de l'oubli.

 

Une expression, ajoutée à la liste précédente, mais qui ne peut être oubliée :

- Au temps pour moi :  je ne suis pas dans les temps (de la marche) disait le soldat. Remise en question de la parole dite, l'idée avancée, qui fait fausse route, ne cadre pas, et retour sur un silence moins disgressif et plus rémunérateur.

Cet éclatement en bouquet, des espèces et des espaces de la temporalité, amène avec lui une autre et définitive interrogation. Et si le temps n’était que subjectivité (Sartre) et relativité (Einstein) ?

il n’y a rien de bon pour les humains, sinon se réjouir et prendre du bon temps durant leur vie.

Abudigin  -    https://autopoietic25.blogspot.com/



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