Sables et étals
Odeurs
de fruits qui s’échappent des petits tas pyramides que les mains dérangent et
déplacent, mais qui sont très vite rattrapées et recouvertes par la ténacité
des odeurs de gazoil et d’essence
de l’environnement urbain. Il faut alors passer une autre étape, en s’enfonçant
dans les ruelles de la ville, qui ne s’offre qu’après l’abandon des grandes
places, celle de la liberté, de la nation, et des grandes pancartes
traversantes, qui en appellent à
la solidarité nationale, et à l’union contre Ebola, pour la santé et pour la
responsabilité individuelle et collective. Alors arrivent et s’entremêlent les
parfums, persil et cardamone, musc et benjouin, tapis et cuirs, étoffes, thés et boissons au
gingembre, jus de bissap (Karcandji). Protégés des allées et venues des taxis
et des motos, les étals colorés sont là, qui attendent, en compagnie de quelque
vendeur, plus rarement du patron que l’on voit arriver parfois d’un réduit
ombré qu’il partage avec d’autres, et quelques verres de thé. Couleurs changeantes
et mobiles, entre soleil et filtres des avancées des boutiques, et qui
respirent chaque fois un petit lieu de campagne, un jardin, au cœur de la cité
urbaine ; odeurs qui colonisent sans effort le centre du ventre ogresque
de la ville, pour l’empêcher de
dévorer tout à fait ses enfants. Enfants et jeunes occupés aux
transports, à regarder les clients qui s’attardent et hésitent, et offrir leur
service comme porte-faix, ou attendre que l’un ou l’autre des patrons vendeurs
leur donnent la possibilité de gagner quelques pièces en les remplaçant sur le
lieu de leur commerce, ou en transportant quelque produit ou quelques outils.
Le
marché est cœur et poumon, vitrine et offrande, mais seuls quelques bouts de
rue, ou de piste échappent aux pétarades incessantes des motos, et aux
avertisseurs des taxis, qui évitent en brusquerie, coup de frein ou de volant, les trous et les
piétons qui ralentissent leur course. Chacun est occupé par une destination à
atteindre, et l ‘espace franchi, linéaire, est vectoriel, comme celui des
porteurs, et définit un parcours sans arrêt, contrairement à celui, circulaire
et par étapes, des acheteurs qui viennent se ravitailler et s’alourdir au fur
et à mesure des sacs qu’ils portent à bout de bras ou comme couvre - chef. Le
passage devant les nuages de mouches protégeant les quartiers de viande
suspendus ou posés sur quelques tables mal assurées ne souffre aucun arrêt
touristique, même si les gestes amples et rapides des bouchers laissent
entrapercevoir des pièces qui seront tranchées et découpées pour apparaître à
midi dans les assiettes. Je n’ai pas vraiment envie d’inspirer très fortement
mais l’odeur est là, pénétrante et qui rappelle qu’au-delà des congélations et
des chambres froides du nord, ce sont bien des cadavres que nous mangeons. Les
porteurs de plateaux d’œufs sont
impressionnants de souplesse et de rapidité, et leur cou se tord et se redresse
en jonglerie d’équilibristes éliminant toute idée d’omelette, et quand ils sont
sollicités par un client, c’est une génuflexion qui permet au demandeur
d’accéder à l’objet de son désir.
(à suivre...)
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