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Odeurs d'Afrique (épisode 4/6)

Sables et étals

Odeurs de fruits qui s’échappent des petits tas pyramides que les mains dérangent et déplacent, mais qui sont très vite rattrapées et recouvertes par la ténacité des odeurs de  gazoil et d’essence de l’environnement urbain. Il faut alors passer une autre étape, en s’enfonçant dans les ruelles de la ville, qui ne s’offre qu’après l’abandon des grandes places, celle de la liberté, de la nation, et des grandes pancartes traversantes, qui en  appellent à la solidarité nationale, et à l’union contre Ebola, pour la santé et pour la responsabilité individuelle et collective. Alors arrivent et s’entremêlent les parfums, persil et cardamone, musc et benjouin, tapis et  cuirs, étoffes, thés et boissons au gingembre, jus de bissap (Karcandji). Protégés des allées et venues des taxis et des motos, les étals colorés sont là, qui attendent, en compagnie de quelque vendeur, plus rarement du patron que l’on voit arriver parfois d’un réduit ombré qu’il partage avec d’autres, et quelques verres de thé. Couleurs changeantes et mobiles, entre soleil et filtres des avancées des boutiques, et qui respirent chaque fois un petit lieu de campagne, un jardin, au cœur de la cité urbaine ; odeurs qui colonisent sans effort le centre du ventre ogresque de la ville, pour l’empêcher de  dévorer tout à fait ses enfants. Enfants et jeunes occupés aux transports, à regarder les clients qui s’attardent et hésitent, et offrir leur service comme porte-faix, ou attendre que l’un ou l’autre des patrons vendeurs leur donnent la possibilité de gagner quelques pièces en les remplaçant sur le lieu de leur commerce, ou en transportant quelque produit ou quelques outils.



Le marché est cœur et poumon, vitrine et offrande, mais seuls quelques bouts de rue, ou de piste échappent aux pétarades incessantes des motos, et aux avertisseurs des taxis, qui évitent en brusquerie, coup  de frein ou de volant, les trous et les piétons qui ralentissent leur course. Chacun est occupé par une destination à atteindre, et l ‘espace franchi, linéaire, est vectoriel, comme celui des porteurs, et définit un parcours sans arrêt, contrairement à celui, circulaire et par étapes, des acheteurs qui viennent se ravitailler et s’alourdir au fur et à mesure des sacs qu’ils portent à bout de bras ou comme couvre - chef. Le passage devant les nuages de mouches protégeant les quartiers de viande suspendus ou posés sur quelques tables mal assurées ne souffre aucun arrêt touristique, même si les gestes amples et rapides des bouchers laissent entrapercevoir des pièces qui seront tranchées et découpées pour apparaître à midi dans les assiettes. Je n’ai pas vraiment envie d’inspirer très fortement mais l’odeur est là, pénétrante et qui rappelle qu’au-delà des congélations et des chambres froides du nord, ce sont bien des cadavres que nous mangeons. Les porteurs  de plateaux d’œufs sont impressionnants de souplesse et de rapidité, et leur cou se tord et se redresse en jonglerie d’équilibristes éliminant toute idée d’omelette, et quand ils sont sollicités par un client, c’est une génuflexion qui permet au demandeur d’accéder à l’objet de son désir.

(à suivre...)

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