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Les médiateurs sociaux : limites et enjeux d'un dispositif



Henri Vieille-Grosjean et Rachel Solomon Tsehaye
Résumés
Suite à une recherche visant à mesurer les limites et les enjeux du dispositif de médiation sociale, les auteurs proposent d’interroger dans cet article, les attentes réciproques du médiateur social et de son employeur, la communauté urbaine. Cette recherche sociologique est de type compréhensif : elle utilise la méthode de l’entretien individuel et du focus group. L’analyse des résultats est soutenue par les apports de Boltanski et Thévenot afin de comparer les « mondes » référentiels des deux types d’acteurs. Elle est complétée par l’analyse des notions de « dispositif » (Foucault) et de « professionnalisation » (Hainaux et al., Bartoli). Les auteurs tentent de comprendre dans quelles mesures les acteurs entendent l’implication dans la médiation.
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Parcours scolaires
Formation et avenir professionnel
Texte intégral
Un regard sur l'histoire de nos sociétés occidentales (Fourquin, 1972 ; Paugam, 1993) peut laisser penser que ces sociétés, même sous l'ancien régime, n'ont jamais bénéficié de stabilité immuable dans la répartition des richesses, des pouvoirs et des symboles. Depuis 40 ans, certains rapports sociaux s'inscrivent dans une situation conflictuelle qui s'extériorise ponctuellement par des crises paroxystiques. Cette situation est entretenue par une double pression. Celle provoquée par l'inégalité de l'accès aux droits et à l'information, qui met en question les principes fondateurs de la démocratie, et celle relevant de la volonté revendicative d'une frange de la population, d'accéder aux différentes formes de la visibilité sociale et de la réussite (Beauvois, Doise & Dubois, 2006).  
C'est ainsi que depuis les opérations « été chauds » des années 80, la société française tente d'apporter des réponses par des expertises qui viennent expliquer ce qui ne fonctionne pas dans notre organisation sociale. Ces dernières ne suffisent pas à résoudre des problèmes dont la complexité résiste aux analyses. Dès lors, une catégorie de spécialistes du malaise social va apparaître, censée faire le pont entre la société valorisée et celle qui est en déshérence (Fassin, 2004), et se concrétisant par « la construction de la figure de médiateur en tant que professionnel "social" expert en conflits » (Gaddi, 2006).
  • 1  Nous postulons que cette intention est toujours actuelle, bien que les interprétations des crises (...)
La recherche, présentée ici,  procède d’une série d’entretiens individuels et collectifs menés en 2007 et 2008 durant la formation des individus désireux de devenir médiateurs sociaux. Elle interroge le processus de mise en place d'un dispositif de médiation sociale par les élus locaux dans le cadre de l’implémentation de politiques locales qui visent, dans leur intention1, à mieux gérer certaines situations sociales inédites et non maîtrisées. Nous nous attacherons à expliciter les enjeux relatifs à ces intentions en analysant les attendus et les perspectives offertes aux personnes employées dans le cadre de la mise en acte de ces politiques. Nous commencerons par faire connaissance avec eux : la description de notre panel, selon la méthode qualitative de l’entretien collectif focalisé (ou focus group), libère un espace de parole stimulé par l’interaction. Le traitement des entretiens permettra d’analyser les motivations des médiateurs, les perceptions qu’ils ont de leurs interventions. Nous les confronterons à celle des politiques locales, dans le but d’évaluer les enjeux liés au dispositif et aux pratiques de médiation sociale.

La présence de médiateurs sociaux en France date ainsi du milieu des années 80. Elle est inspirée des projets québécois d'intervention en médiation sociale et communautaire (Louison et Valastro, 2004). L'arrivée de médiateurs sur les quartiers et territoires de socialisation repose d'abord essentiellement sur l'investissement par la société civile d'une nouvelle forme d'intervention sociale (Madelin, 2007), dans le cadre de la politique de la ville2. En effet, les premiers arrivés, dans ce qui était appelé « les cités », sont des bénévoles dont les interventions interrogent la pertinence des données de cadrage du travail social. Ces dernières se référant en effet davantage aux mesures à prendre pour minorer certaines formes de dangerosité et moins à la requalification sociale (Ion, 2006; Astier, 2007).
  • 2  Premières mises en place de programmes spécifiques au développement urbain : 1977, lancement du pr(...)
Les premiers médiateurs devaient répondre, en effet, à une double nécessité : accompagner les politiques sociales dans certains quartiers urbains (Guillaume-Hoffnung, 1999), et utiliser la négociation pour anticiper le recours à la loi ou à un arbitrage institutionnel (Bonafé-Schmidt, 2002).
  • 3  « La médiation sociale (comme métiers de la présence sociale) a pris son essor grâce à la conjugai(...)
6Dans une deuxième étape, la plupart d'entre eux se retrouvent employés par les collectivités locales, mairies, communautés urbaines ou collectifs associatifs, dans le cadre en particulier des emplois jeunes3 (Hainaux et al, 2009). Il s'agissait en effet, de canaliser des interventions qui, se substituant au manque de repères et de réponses des gestionnaires de la vie civile, « renvoyaient à un ensemble de nouvelles pratiques assez disparates d'acteurs sociaux » (Lemaire et Poitras, 2004, p.19). C'est ainsi que la médiation sociale fut assez rapidement assimilée à l'apparition d'une nouvelle catégorie professionnelle (Divay, 2005).
  • 4  Cf. un des premiers dispositifs mis en place en 1994 sous le slogan des « Grands-Frères », à Gagny(...)
7La lecture des différents rapports et articles, traitant de l'apparition de cette nouvelle profession (Chappaz, 1995 ; Astolfi, 1997 ; Guillaume-Hoffnung, 1999), nous apprend qu'ayant d'abord été destinée à rentrer dans la grande famille du travail social, elle ne bénéficie, une vingtaine d'années plus tard, que d'une affiliation très éloignée. Les médiateurs de rue  interviennent en effet selon des modalités, temps et lieux peu ou non fréquentés par les travailleurs sociaux (Chopart, 2000). Ces derniers leur ont d'autre part souvent reproché leur manque de qualification et de diplôme professionnel (Chantrenne & Moreau, 2004). En effet, les premiers moyens à disposition pour s’acquitter de missions parfois nocturnes et souvent difficiles, parce qu’aux premières loges de la précarité, sont ceux que leur octroie la légitimité d’une proximité sociale, générationnelle4, et le plus souvent ethnique (Roques, 1998). C’est aussi le courage d’une habitude à vivre des situations de conflits et de rapports de force physiques, semblables à celles auxquelles ils sont confrontés sur le terrain de leurs activités de « médiation ».
  • 5  « Première chambre syndicale réunissant des professionnels en activité et exerçant avec rigueur la(...)
8D'autres sous-catégories professionnelles relevant de la médiation existent. Elles sont spécialisées auprès des familles, des entreprises ou des administrations. Affiliées à la Chambre professionnelle nationale de la médiation et de la négociation5, elles s'honorent d'un code d'éthique et de déontologie auquel se réfèrent leurs pratiques : tarification libre, conflit d'intérêt, adhésion à la Chambre, possession d'un diplôme, carte professionnelle, obligation de moyens et non de résultat… En outre, leurs activités sont légitimées par un master professionnel, alors que les médiateurs sociaux n'ont généralement pas accès à des formations longues, même lorsque celles-ci s'annoncent comme généralistes. Les temps de formation consacrés à la médiation sociale varient entre deux jours et deux semaines. Seules deux universités (Strasbourg et la Réunion) développent une formation pendant deux ans, à l’issue desquelles les étudiants peuvent obtenir un « Diplôme d’Etudes Universitaires Scientifiques et Techniques (DEUST) médiation sociale et citoyenne (diplôme homologué bac +2) ».
9En regard de ces aspects contextuels, la question qui fonde ce travail interroge la pertinence de la mise en place du dispositif de médiation sociale, à travers la mesure de la distance existante entre les postures de ses agents et les projets des acteurs politiques qui l'ont initié et structuré (Bouquet et Jovelin, 2005). Les contextes mentionnés, qui caractérisent le terrain quotidien des médiateurs sociaux, relèvent le plus souvent d’une double attente non satisfaite, celle d’une population et celle de bailleurs sociaux par exemple, dont le conflit peut être l’expression. En référence au modèle théorique de Boltanski et Thévenot, deux « mondes » de référence s’opposent : celui des habitants et celui du bailleur, avec lesquels les médiateurs ont à composer. Il s’agit pour ces derniers d’identifier les lignes de tension entre ces deux « mondes » et d’aboutir à « un accord juste aux yeux des médiés »6. C’est à cette grille théorique, donc au sens donné au concept de « mondes » par Luc Boltanski et Laurent Thévenot, que nous soumettons l’analyse des discours des médiateurs. Lorsque ceux -ci expliquent et justifient leurs pratiques : quel(s) monde(s) mettent-ils en avant ?
  • 6  Dans leur analyse critique de la philosophie politique, Luc Boltanski et Laurent Thévenot s’intére(...)
  • 7  Au regard des recherches menées en 1984, par l’historien Gérard Noiriel, démontrant le racisme qui(...)
10Le métier du médiateur social repose sur le conflit d’une part, mais plus largement, sur le renforcement des liens sociaux et l’amélioration des formes de socialisation entre les personnes (Ben Mrad, op.cit.). Comme matrice de ces contextes donnant naissance à la profession de médiateur social, les spécialistes de la sociologie urbaine évoquent les phénomènes d'exclusion et de précarisation, la territorialisation des difficultés socio-économiques, provoqués à la fois par « l’affaiblissement du modèle d’identification républicain, la déliquescence des liens sociaux, l’instabilité des solidarités familiales et l’affaiblissement des relations d’entraide » (Stébé, 2005). Ce à quoi s’ajoutent une nouvelle pauvreté dont celle des jeunes (Paugam, 1994) et un nouveau racisme (le « racisme culturel », Barker, 1981) qui s’attache à maintenir les descendants d’immigrés des colonies dans une position subalterne, en ayant recours à une interprétation systématique des conflits et/ou comportements dans une perspective culturelle qui néglige les facteurs historiques, sociologiques, psychologiques, etc. Ce racisme, accentué par le déclin du mouvement ouvrier, éloigne les rapports sociaux d’une définition sociale et les font tendre vers une racisation des individus (Wieviorka 1991, cité par Plivard, 2010, p.31), c'est-à-dire vers une analyse imputant aux comportements (déviants) une origine ethnique7.
  • 8  Effet (lat. factum) artificiel (lat. ars, artis). Le terme « artéfact » désigne à l'origine un phé(...)
11La réponse aux questions posées par ces situations se concrétise par la présence sur les territoires urbains de médiateurs sociaux. C'est le statut donné  à cette présence par les élus qui peut être questionné. Cette nouvelle profession de régulation des rapports sociaux s’articule nébuleusement autour de trois dimensions prévention, relation et sécurisation, gestion de la violence, (Ben Mrad, op.cit.), qui mobilisent de multiples compétences (interculturelles, relationnelles, singulières) et qui s’incarnent dans une pluralité de modes : présence, observations, écoute, animation, etc.). C’est aussi l’importance voire la prédominance de l’une ou l’autre de ces dimensions qui doit être interrogée. Autrement dit, en regard des dispositifs qu'ils animent, ces nouveaux agents de la paix sociale sont-ils plutôt des acteurs chargés de mission, des instruments, utilisés pour légitimer des politiques de proximité, ou des artéfacts8, prisonniers d'une conjoncture et de la fragilité ?
12Ce premier questionnement, qui interpelle la mise en place de la médiation sociale en France, ressort en fait de l'observation d'un phénomène de production d’un consensus ou d’une convention qui lie les individus en fonction de leurs attentes réciproques. Prenant appui sur le référentiel théorique de Boltanski et Thévenot (1991), la mise en place de la politique organisationnelle de la médiation sociale interroge les différents « mondes » et les différentes « cités » auxquelles appartiennent et/ou font référence les médiateurs mais aussi leurs employeurs. Les médiateurs sociaux sont engagés dans des situations à la fois conflictuelles et coopératives. La problématisation de notre objet repose sur les références à ces « mondes » qu’impliquent les formes de coopération évoquées dans les discours, autrement dit, les modalités selon lesquelles les médiateurs sociaux justifient/expliquent leur activité professionnelle. Elle se fixe l’objectif de comprendre la nature des mondes sur lesquels repose l’équilibre du consensus ou du compromis entre les médiés, et dans le même temps, les raisons pour lesquelles les attentes réciproques ne se rencontrent pas.
13En effet, ce phénomène - le fait d’être engagé dans des situations conflictuelles et coopératives - autour duquel s’articule la profession du médiateur, peut être approché selon différentes catégories qui s’inscrivent dans une double modélisation des pratiques, l’autodidaxie pragmatique et le quadrillage représenté par des formes reconnues de professionnalisation.
  • 9  Julien Rémy, Sylvain Pasquier, « Être soi peut-il être professionnel ? Le cas des médiateurs sociaux (...)
14Une catégorie se référant à une dimension identitaire tout d'abord : du côté des agents, la médiation sociale renvoie généralement à une première modélisation des pratiques et des stratégies d'intervention. En effet, majoritairement sans formation professionnelle, les médiateurs, voués à penser et créer intuitivement leur métier « sur la base du vécu passé et au coup par coup des interventions », voient leur identité professionnelle imbriquée et inséparable de leur identité personnelle (Pasquier et Rémy, 2008)9.Les médiateurs sociaux se définiraient alors par/dans une autodidaxie pragmatique, leurs habiletés ayant été acquises par une démarche personnelle d’autoformation, entre intuition et réflexion, nécessaire à la réalisation de tâches dans une situation donnée.
  • 10 « J’appelle dispositif tout ce qui a, d’une manière ou d’une autre, la capacité de capturer, d’orie(...)
  • 11  « Le dispositif, donc, est toujours inscrit dans un jeu de pouvoir, mais toujours lié aussi à une(...)
15Une catégorie relevant d'une dimension socio-économique. A cette référence qualificative, qui se situe dans le registre d’une socialité primaire, vient s'ajouter une inscription dans une catégorisation professionnelle et un référentiel de qualification. Le deuxième cadre conceptuel mobilisé pour interroger la nouvelle norme professionnalisante, diffusée par les responsables politiques et le discours de professionnalité qui l’accompagne tenu par les gestionnaires, pourrait renvoyer donc à la notion de dispositif. Au sens décliné par Giorgio Agamben pour qui le dispositif s'inscrit dans un contexte qui suppose l'existence d'un dedans, « l'individu socialement inséré étant un individu professionnalisé », et d'un dehors« vie nue exposée au pouvoir souverain »10. Mais nous pouvons également mobiliser le sens donné au dispositif par Michel Foucault (1984), le dispositif étant entendu à la fois comme « quadrillage » et« enfermement »11.
16Autre référence catégorielle, plus heuristique, celle retenue par Brigitte Albéro, qui en reprenant les travaux de Francisco Varela, installe le dispositif lié à l'apprentissage dans une tension entre deux paradigmes, celui d'instruction et celui d'autonomie. En ouvrant la notion d'apprentissage à tout processus d'inclusion, on retrouve les deux dimensions évoquées plus haut, auto-construction d'une identité professionnelle et inscription dans des formes reconnues de professionnalisation. Il s'agit en effet d'approcher un processus qui s'apparente et relève à priori du travail social et qui s'organise plutôt selon « des formes coopérantes et autonomisantes », tout en participant également d'un dispositif spécifique, élaboré et construit sur un habitus sécuritaire, en utilisant plutôt des « formes prescriptives et tutorales » (Albero, 2009, p.83).
17Autre catégorie, celle renvoyant à la dimension sociopolitique de la démarche. Cette catégorie permettrait de saisir la médiation sociale dans sa fonction d'outil des politiques de proximité en s'appuyant sur les dynamiques d’obligation et de légitimation qui la fabriquent. Les conditions d'émergence de la médiation sociale, décrites supra, pourraient ainsi faire penser à un processus de professionnalisation, laquelle participe de deux objectifs :
18- Le premier semble être de renforcer et généraliser ce qui a été inventé de façon éclatée et désordonnée, pour inscrire dans un ordre social des pratiques et des manières de faire relevant davantage de l’investissement individuel, en stabilisant des agents concernés.
19- Le deuxième objectif parie sur une efficacité, une viabilité économique et donc une reconnaissance sociale, obtenue grâce au passage de l’engagement individuel à une pratique professionnelle et à la possibilité, pour les nouveaux praticiens, d’un accès classique et non plus aidé, aux emplois et donc au marché du travail (Jeannot, 2007).
20D’autre part, inscrire la professionnalisation comme processus de mise en place de dispositifs professionnalisants demande que soient à la fois considérés les modes de développement de savoirs professionnels propres à l’amélioration des compétences des individus, les parcours et conditions de leur insertion professionnelle et les conséquences de cette insertion sur l’émergence d’une nouvelle profession (Altet, Guibert & Perrenoud, 2010, p.8).
21Cetteapproche notionnelle,référée à la médiationsociale, fait progresser notre questionnement initial dont nous avons dit qu’il interrogeait les intentions des initiateurs du dispositif et de ses gestionnaires. Il nous permet de fonder notre recherche sur une première hypothèse qui attribue à la médiation sociale et à ses promoteurs des intentions fondatrices dont l’ambigüité obère l'efficacité : promouvoir (faire émerger, mettre en place…) une forme de renouvellement de la perspective d'intervention du travail social (Chappaz, 1995), tout en restant prisonniers de la précarité d'un dispositif qui ne peut s'installer que dans la conjoncture (Pasquier et Rémy, 2004). Partant de cette réflexion, nous avons émis une deuxième hypothèse : la professionnalisation des médiateurs sociaux est un leurre : dirigée vers des publics dont la présence relève de la seconde chance et de la précarité, elle s'inspire d'une logique opératoire qui, en n'offrant pas les possibilités de construction d'une identité professionnelle structurante, a tendance à renforcer une forme de stigmatisation.
22Pour tester nos hypothèses, nous mobiliserons l’analyse des données recueillies lors  d'entretiens réalisés avec un groupe de médiateurs. Le guide d’entretien a été organisé selon quatre axes : leurs appartenances identitaires, leurs histoires scolaires, leurs positions au regard de l’emploi et leurs perspectives et projets.
23Notre recherche s'appuie sur une démarche qualitative à visée compréhensive. Elle s'est organisée en deux temps : des groupes de discussion (d’une heure trente) constitués de 8 à 12 personnes faisant suite à des temps de formation (méthode du focus group, Catterall & Maclaran, 1997) et des entretiens individuels semi-structurés. Les entretiens (18 personnes à trois reprises) se déroulent sur rendez-vous pris devant la mairie de quartier, lieu d'arrivée et de départ des employés en fin de mission ou venus chercher les consignes pour la mission suivante. Sans être représentatifs de l'ensemble des médiateurs travaillant dans la communauté urbaine qui a servi de terrain pour l'enquête, ce panel a été construit en fonction des rencontres faites durant deux années.
24Permettant la participation de chacune des personnes présentes, dans un environnement déjà apprivoisé (coin-détente fréquenté à chaque « inter-mission »), cette méthode interactive fait émerger des paroles réactives facilitant la relance au sein du groupe. Grâce aux divergences et aux différences exprimées par les médiateurs, une première objectivation des facteurs associés aux opinions, attitudes ou motivations, est possible.
25Conscients des aléas réactionnels et situationnels propres à cette méthode, à savoir la captation de la parole (leader-effect) liée à certaines formes de panurgisme (cf. Morghain & Schadron, 2001), cette difficulté a pu être progressivement évacuée par des prises de paroles plus libres et moins axées sur un automatisme de réponses aux questions posées.
26Cette approche socio-sémantique, dont nous venons de décrire le contexte de l’énonciation, nous oblige maintenant à décrire les caractéristiques du panel. Composé de 96 personnes, ses caractéristiques socio-anthropologiques sont les suivantes : la classe d’âge 18-25 ans représente 83% de la population enquêtée. Celle-ci est à 78% masculine. Ceci s’explique par le fait que les filles restent, au bout de sept ans d’activités des organismes recruteurs, moins sollicitées pour effectuer un travail dans lequel la dimension relationnelle et conflictuelle de leur mission peut les impliquer et les prendre à partie physiquement.
27L’analyse de contenu des entretiens nous permet maintenant de classifier les occurrences, de les faire émerger en dimensions et d’interpréter ces univers dans lesquels s'expriment des contraintes, des oppositions et des résistances.
28Parmi les thématiques abordées lors des échanges, certaines font référence à une formation à laquelle l'ensemble des participants avaient été inscrits. Nous n’avions pas intégré la formation à notre modèle d’analyse mais dans la mesure où cette dimension a émergé dans les focus groupe, nous avons fait le choix de ne pas l’ignorer. Il s’agissait en outre d’un indicateur pertinent de la professionnalisation, dont les conditions de sa mise en place et ses contenus devaient être approchés. Il a donc été procédé également à une lecture des contenus de cette formation, mais ceci, sans élaboration à priori d’un cadre interprétatif.
29Prénoms et lieux de naissance des parents : les prénoms sont une des premières caractéristiques identitaires apparues. Ils sont à très forte majorité étrangers, et leur répartition découpe un paysage international assez étendu (Maghreb, Turquie, Europe, Extrême Orient).
Encadré n°1 : Prénoms des garçons et des filles
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Encadré n°2 : Parcours scolaires des médiateurs
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30Les parcours scolaires sont à l’image des origines géographiques représentées, assez variés, en durée et en spécialité. En effet, si le tiers des individus excipe d’une histoire scolaire inachevée, et arrêtée pendant la seizième année, en première année de lycée général, un autre tiers est sorti du LEP, en fin de formation de BEP ou de CAP. Le troisième sous-ensemble regroupe des profils scolaires très divers, qui vont d’une formation universitaire de premier ou deuxième cycle dans le pays d’origine, plus rarement en France (deux DEA), à des apprentissages commencés très tôt sur le chantier et confinés à l’entreprise paternelle. Ces derniers parcours restent rares. Cela pourrait s’expliquer par le profil anthropologique des publics recrutés dans les apprentissages (masculinisé et surtout rural). Cette orientation en apprentissage (qui comprend aussi un recrutement par un employeur) reflète les discriminations notamment ethniques à l’œuvre sur le marché de l’emploi (Gasquet et Arrighi, 2010). Les activités professionnelles exercées sont regroupées sous les vocables « intérim » et « petits boulots ». Parmi les secteurs d’activités les plus cités, on trouve des services tels qu’agents d’entretien ou de sécurité, vendeuses, réparateurs en électrotechnique, mais également l’artisanat avec des emplois de mécanicien ou ébéniste. Sont cités également les pratiques d'animation, animateur sportif, aide éducateur, et les investissements dans des activités sociales comme bénévoles dans une association de quartier (type Maison des Jeunes et de la Culture ou Centres Sociaux).
  • 12  H pour homme. F pour femme. ESD pour entretien semi-directif. FG pour focus group. Premier nombre(...)
31Les parcours scolaires et professionnels sont issus d'orientations qui sont dites « obligées », « bâclées » ou « incomprises ». Les individus, majoritairement diplômés des LEP témoignent avoir vécu comme une humiliation voire un mépris de la part du comité pédagogique, leur orientation en LEP : « Le LEP, j'en voulais pas, mes parents non plus » (H-FG-2-23)12. Les parents, peu familiers et loin d’être des experts des rouages du système éducatif, ne disposaient pas du capital social, culturel et économique, disent-ils dans d’autres termes, de « l’audace » de contrer cette décision d’orientation. Osée à plusieurs reprises, mais restant rare, car de l’ordre de l’aveu et de la conviction intime difficile à extérioriser en collectivité, la tendance qui se manifestait dans les discours était celle d’une orientation en LEP liée non seulement à leur niveau scolaire (Dubet, 1991) mais surtout à leur origine ethnique : cette configuration est identique à celle démontrée dans les recherches de Nathalie Kakpo, qui évoque l’intériorisation d’une orientation en LEP comme le résultat d’une équation : « magrébins = Lycée professionnel » (Kakpo, 2005).
32À ces parcours scolaires, s’ajoutent des histoires familiales personnelles en construction et qui ne peuvent qu’être ébauchées et entr’aperçues, mais dont la seule évocation en laisse deviner la fragilité et la complexité : « pour l'instant, faute de mieux, je vis avec ma copine, chez l'habitant » [hébergement parental/ H-FG-5-25]. Quelques personnes vivent en couple, mais la plupart se déclarent célibataires, avec parfois un enfant présent dans les mentions faites de la vie quotidienne.
Encadré n° 3. Situation matrimoniale
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33Hormis les souvenirs peu précis et peu enjoués de leurs années scolaires : « là au collège on peut dire que je me suis ennuyé », quelques témoignages (7) font référence à la participation à une formation professionnelle ayant permis une insertion dans un emploi. Il est ainsi fait mention d'apprentissages, et les interviewés rappellent des conditions de travail parfois très dures : 6 jours par semaine dans certains cas, à raison de 12h par jour, pour les métiers de la bouche en particulier « on démarrait à 6h, puis 10mn de pose à 9h, et le patron nous laissait pas nous asseoir » [boulanger -H-FG-2-19]. Autre remarque récurrente, celle de l’inutilité d’un apprentissage passé à nettoyer ou effacer les traces de graisse de l’atelier : « c'était toujours la même chose avec le patron, nettoie, tais-toi et rame ». Que ce soit à propos de leur métier d’élève ou de celui ou de ceux qu’ils ont exercés adultes, les discours disent la frustration face au manque d’autonomie, de possibilité de prise d’initiative et de responsabilisation. Ils témoignent également de celle d’exercer un travail sous surveillance qui consiste en l’exécution de gestes précis et répétitifs, et qui n’exigent qu’ordre et obéissance.
34Aucune information ne fait état d'une formation qualifiante, mais de souvenirs positivant un apprentissage, « ma formation je l'ai eue sur le tas comme on dit », par une pratique autodidacte d’animation ou d’encadrement sportif par exemple. Les projets, quand ils existent, sont référés à des métiers désirés. Il est à noter qu’à l’instar des métiers, les formations souhaitées ont été revues à la baisse depuis l’adolescence, en regard des expériences et des résultats aux tests, évaluations ou autres bilans de compétences qui infléchissent leur vie professionnelle. Le paysage dessiné est loin de représenter les hauts sommets et les rêves des années de la prime jeunesse sont évoqués à la mesure d’utopies infondées et abandonnées : « j'ai toujours voulu être pilote d'avion, mais tout ce que je peux espérer aujourd’hui, c'est de conduire un bus » [H-FG-16-20].
35L'emploi qu'ils occupent relève du dispositif « Contrat emplois jeunes »13 et d'un contrat pouvant être renouvelé pendant 4 ans et passé avec un seul employeur : la Communauté Urbaine. Ce dispositif, utilisé comme un outil d’insertion, ne prend pas à priori comme critère discriminant le niveau de qualification du jeune, ni ses expériences professionnelles. Ses bénéficiaires ont donc, en regard du monde du travail, des histoires et des représentations différentes et parfois très éloignées les unes des autres. Plus précisément, deux critères semblent prévaloir dans l'investissement des missions qu'ils doivent accomplir : leur ancienneté dans l'emploi occupé et la perception qu'ils ont de leur situation. Certains se perçoivent comme vivant une expérience de la dernière chance : « j'ai tout essayé et rien ne m'a réussi, alors, j'y suis, et je compte bien y rester » [H-FG-73-26]. À l'inverse, d'autres, mentionnant les différents emplois qu'ils ont déjà connus, n'ont que peu de considération pour ces emplois-jeunes dans lesquels ils se sentent dévalorisés et qui n'ont selon eux que peu de chance d'être pérennisés : « les CEJ, ça c'est bon pour les politiques, ça fait baisser les chiffres du chômage, mais on peut nous jeter comme on nous a pris » [H-FG-29-20]. Entre les deux extrêmes, on trouve les plus anciens dans cet emploi temporaire, ceux pour qui la motivation renvoie à une préoccupation de survie dans l’emploi, ce qui les éloigne de la dynamique de professionnalisation (Ben Mrad, op.cit., p.243). Le métier de médiateur représente alors un bon compromis « en attendant mieux » [H-FG-53-22]. Ils disent, dans leur grande majorité, leur lassitude de se voir maintenus dans un statut provisoire. Ils disent leur envie de voir se concrétiser ce qui leur était proposé comme autre insertion professionnelle, du chauffeur de bus au travailleur social, et qui rend possible le suivi de formations traditionnelles leur permettant l’accès à des métiers « codifiés », aux référentiels reconnus et officiels (Barthélémy, 2009).
  • 13  CEJ, ou bien NSEJ pour « nouveaux services emplois jeunes » créés en 1997 (60 mois).(...)
36Un autre groupe, plus jeune, et vivant ce premier emploi comme la première opportunité de salaire, se disent satisfaits de ce qui leur est proposé, après avoir cherché sans succès (1 an à 4 ans) du travail après leur sortie de l'école.
37La formation  à laquelle les médiateurs sociaux ont participé  est décrite uniquement en référence au futur emploi à occuper. Elle est évaluée par un double regard :
38- l’ensemble des séquences de formation portant sur la connaissance de soi et la maîtrise personnelle, la négociation et la gestion des conflits sont diversement appréciées selon que les individus se sentent plus ou moins évalués pendant le déroulement de ces séances. Ils mentionnent notamment les heures passées en jeu de rôle, dans leur fonction de sélection : « derrière la participation aux jeux, on voit bien que c'est notre emploi qui est visé » [F-FG-38-23].
39- les séances portant sur les informations de base sont, à quelques exceptions près, considérées comme remplies d’évidences, décalées ou « clichées » [F-FG-6-21]. Ces séances, à prétention interculturelle, traitent de l’hétérogénéité des médiés et de la diversité socioculturelle relative à leurs futurs territoires d’actuation et aux conditions sociales et économiques qui les caractérisent. Elles sont animées par des agents d’institutions partenaires (rencontres informatives des services sociaux et administratifs). Les médiateurs sociaux reprochent à ces animateurs, à la fois le manque de profondeur ou de pertinence de leurs interventions ou encore la stigmatisation dont ils font preuve à l’égard des formés « malgré une bienveillance affichée ». Les médiateurs sociaux rapportent ce qui leur est énoncé à ce qu’ils connaissent ou ont éprouvé : « ce qui est sûr, c'est qu'ils répètent des conseils sur des choses qu'ils n'ont pas vécues »[H-FG-5-24]. L’évaluation des formateurs est donc également entendue, dans son approche implicite, non formative, comme proche de l’élaboration de « jugements » subjectifs qui dépassent le cadre de leur mission professionnelle. D’autres (H et F- FG et EI) disent leur sentiment de sentir, de la part de ces « agents-formateurs », un regard critique relatif à leur forme de langage « inappropriée » (alors que les médiateurs estiment devoir leur emploi à leur proximité culturelle et linguistique avec ce public), voire un regard accusateur sur les familles des cités, stigmatisant leurs caractéristiques anthropologiques (des familles « qui font trop d’enfants ») et leurs pratiques éducatives ou culturelles (entre imposition autoritaire de règles et absence d’autorité etc.).
40Ces discours témoignent d’une première tension née d’une controverse au sein « du monde domestique ». Cette contradiction des représentations se traduit chez les médiateurs par le fait qu’ils se sentent « piégés » dans des rôles professionnels. Ces derniers les obligent à « enfreindre des règles » telles que : le respect de la hiérarchie de l’âge [H-EI-15-22], la fonction du type de famille valorisée (nucléaire ou élargie), les figures de références différentes. Les médiateurs se retrouvent ainsi parfois assignés à des rôles incompatibles avec les pratiques culturelles en place.
  • 14  Quandles médiateurs [H-FG- 11- 15- 34- 47- 48-…] considèrent que la considération fait défaut dans(...)
41- Si discorde il y a, au sein du « monde domestique », parfois du « monde de l’opinion »14 , le compromis entre les médiateurs et leurs employeurs se fonde sur un intérêt supérieur commun. Médiateurs et employeurs se retrouvent unis dans le « monde civique », dans la croyance en la prééminence du collectif et en l’intérêt général. Par cette inscription, rendue visible par le port d’un uniforme, les médiateurs contribuent à l’affichage d’un idéal d’harmonie, de cohésion et de paix sociale.
42Cette inscription va provoquer des réactions parfois très fortes des personnes qu’ils ont à rencontrer, et qui vont interpréter leurs postures comme participant d’une volonté d’uniformisation culturelle. Elle leur vaut parfois des noms d’oiseaux, tels que « collabo » ou « harki » [H- EI- 18- 23 et H-EI- 9- 24]. Les médiateurs recherchent ainsi deux formes de reconnaissance, sociale et professionnelle, et ils se heurtent finalement à une instrumentation par leurs employeurs qui les réduisent à l’utilisation temporaire de leur force vive, et à une déqualification de la part des médiés.
43- Si « le monde marchand » n’est pas prédominant dans les représentations des médiateurs sociaux, c’est qu’il existe uniquement dans l’espérance cultivée de mobilité professionnelle et d’ascension sociale où l’emploi occupé de médiateur sert de tremplin. La représentation de l’autre est positive, les phénomènes de concurrence et de relations d’intérêts sont absents puisque la sélection d’entrée en formation les conduit tous à l’obtention et l’exercice d’un emploi identique, et sans responsabilités hiérarchiques. 
44- Dans ce qu’ils disent de leur exercice professionnel, les médiateurs de notre échantillon témoignent peu d’une préoccupation d’efficacité. Le souci d’un impératif de productivité, difficilement mesurable quand on travaille avec « l’humain », n’est évoqué ni chez les médiateurs ni par leurs employeurs. Ceux-ci ne prévoient que rarement de réunions visant à faire le bilan de leurs actions ou le point sur leurs méthodes. Les médiateurs et leurs employeurs trouvent un nouveau point d’ancrage commun dans le « monde inspiré » : les seconds laissant libre cours à la créativité des premiers afin de concevoir les outils dont ils devront disposer. La réalisation d’un idéal du « bon médiateur », par le biais d’une formation au référentiel et aux indications concrètes quant aux activités à développer (Barthélémy, 2009), est un objectif substitué à celui d’avoir « réussi à décrocher » un emploi qui participera à une requalification sociale au sein de la communauté d’appartenance, pour les médiateurs, et à celui d’une tranquillisation des populations des quartiers urbains et périphériques, pour leurs employeurs.
45La discussion des résultats se concentrera sur les informations obtenues en référence à quatre catégories : identités,  postures, opinions et représentations.
46La première catégorie référencée fait montre d’une diversité des identités et des assises culturelles, d’abord masquée par un code vestimentaire affilié à l’univers des marques de la mode urbaine (streetwear), image d’eux mêmes qui les représente sur la scène de leur quotidien. On retrouve cette image dans les descriptions faites par certains employeurs de leur  public, dans l'informel des discussions. Ces derniers, se fondant parfois sur ce qui leur apparaît à un premier niveau de visibilité, posturale, langagière et vestimentaire, font une lecture en négatif (Charlot, 1999), voire déficitaire des personnes recrutées. Considérant les médiateurs, les employeurs se satisfont globalement d’approches généralisantes et peu fouillées, comme celles relatives aux caractéristiques comportementales et aspirationnelles : « espaces relationnels superficiels ou éclatés (peu d’assises relationnelles fortes), difficultés à tenir un engagement horaire et professionnel, bassesse de vue et imaginaires perclus… ou débridés ». Prédominance du « monde de l’opinion » qui reste prisonnier d'une représentation renvoyée par leurs employés, chez lesquels « l’autorité se mesure par les centimètres de muscles, le charisme, la hauteur, et un « look » fait de blancheur des (sur)vêtements, casquettes retournées et baskets, voire tatouages et cicatrices ».
47La formation est un autre thème dégagé de l’analyse des entretiens. Les données recueillies à ce propos apparaissent comme venant encore renforcer cette forme d'illettrisme social. La formation interpelle les stagiaires, entre autres, que sur une concrétude fragile ou à partir d'approches pédagogiques infantilisantes (Galand, 2004). Elle ne semble pas vraiment accompagner leur désir de construction professionnelle. Elle se retrouve paralysée par l’obligation de satisfaire à des effets d’annonce sans suite (comme les contrats emplois jeunes par exemple) et au manque de formation spécialisée et professionnalisante, donc réellement qualifiante, à disposition. Elle ne peut répondre à la demande d’insertion durable dans un processus de professionnalisation et demeure peu mobilisatrice lorsque le métier entr’aperçu ne présente pas les gages de la respectabilité et des reconnaissances recherchées.
  • 15  Henri Vieille-Grosjean, « Le feu, les pyromanes et les pompiers », Bruxelles : Contradictions, n°5(...)
48En outre, la diversité des parcours scolaires et des histoires professionnelles indique une population moins démunie et fragile qu’elle peut paraître à première vue. Si certains parcours scolaires sont peu féconds, quelques-uns témoignent de formations spécialisées sur des métiers dont on dit qu’ils sont « porteurs », voire d'études universitaires. Mais, ce qui apparaît le plus souvent relève de la ténacité et de la conscience partagée d’une responsabilité devant le travail (monde civique), pour aider les parents, par exemple, ou faire vivre une nouvelle famille (monde domestique). Ces différents constats ne peuvent qu'interpeller la principale légitimité reconnue à ces jeunes qui sont pour la plupart recrutés pour des qualités mesurées à l’aune de leur proximité sociale et générationnelle avec leurs voisins « des quartiers » (Vieille-Grosjean, 2004)15.
49Il semble en effet  que pour les institutions et collectivités qui font appel à eux  leur présence et leur emploi puissent se satisfaire d'une triple légitimité : fraternité, égalité, liberté (monde civique et marchand). Une filiation référée à une parenté partagée qui leur donne d’emblée accès à la fraternité. Une parité générationnelle, contextuelle et culturelle avec les médiés qui leur permet la reconnaissance de la proximité. Autre légitimité que les employeurs et les institutions reconnaissent aux médiateurs sociaux, celle liée au genre, le masculin étant repéré comme plus indépendant et donc plus efficace, en regard des conventions relationnelles et culturelles supposées agissantes dans les espaces à occuper.
50Si nous allons plus avant dans cette logique, le recrutement sur la base du genre représenterait une opportunité de faire autorité, de se revaloriser. Cette opportunité serait à saisir pour des hommes qui font face à la « crise de masculinité » qui les traverse (Kakpo, 2005). Cette crise étant liée au fait que le travail ne requiert plus autant de force physique mais aussi à l’émancipation, par l’école et le travail, des filles d’immigrés magrébins et au sentiment d’infériorité des garçons qui peut en découler.
  • 16  Nous retrouvons ici Sylvain Pasquier et Julien Rémy dans le lien qu'ils établissent entre identité(...)
51Cette triple légitimité va permettre la construction d'un profil professionnel sur la base d'une autodidaxie expérientielle16. Cette fabrication légitimaire mériterait d’être interrogée, en regard de ceux qui ont imaginé ces nouvelles fonctions, et du point de vue de ceux qui les assument :
  • 17  Ne sommes nous pas ici reliés à d’autres images de la médiation, notamment celles, sacrificielles(...)
52- La formation se fonde en fait sur un constat erroné. « Jeunes des quartiers », ils apparaissent comme liés, par l’histoire et la géographie, à ceux qu’ils ont à encadrer ou à domestiquer (Foucault, 1984). Marqués physiquement par les traces d’une « origine » étrangère, ne seraient-ils pas, entre stigmates et postures, les pygmalions grâce auxquels pourraient se modifier les comportements asociaux ou réactifs des individus et des groupes auxquels il leur est donné mission de s'adresser ? Par les motivations qui les guident, entre autres la croyance aux valeurs du monde civique, et dans une moindre mesure, aux mondes marchand et industriel, cette contribution à la normalisation des comportements pourrait-elle dépasser celle des manières d’être pour toucher celles de la pensée ? Ne sont-ils pas en effet appelés « les grands frères » par une commande sociale et médiatique qui, en appelant au parangon, se dédouanerait du même coup d’un sérieux des réponses à une demande de statut, de salaire et de formation ? La société ferait donc appel à une sorte d’affectif de la République, qui serait invoqué chez ces jeunes, pour qu’ils acceptent cette mission mal payée, considérant ainsi qu’en jouant un rôle de réparateur du mal fait à la république par des gens qui leur ressemblent, ils rachèteraient ainsi perturbations, malfaçons et malversations17.
53- La fabrication légitimaire évoquée plus haut renvoie également à une double impertinence. Tout d'abord, une représentation sociale d’identités tronquées et statufiées qui ne sont prises en considération que dans la mesure où elles semblent appartenir à un collectif ethnique et migratoire, «jeunes d’origine étrangère, 2èmegénération » (Camilleri, 1985). De plus, ces médiateurs feraient l’objet d’un traitement réservé à ceux dont on pense qu’après échec scolaire et chômage, il n’est besoin, pour une insertion réussie, que d’un minima professionnel, et donc d’une formation superficielle, initiale, mais non récurrente et non qualifiante (Schwartz, 1996). On pourrait même apercevoir, à travers ce traitement, certaines conséquences paradoxales d'une démarche compassionnelle qui s'accorde d'emblée avec les appels victimaires au recours contre les discriminations.
54Il semble donc que les contextes qui nous occupent échappent difficilement à un ostracisme qui a déjà, dans le passé, obéré les carrières et les avenirs sur le marché de l’emploi classique (Schadron, 2006). Les attitudes et représentations des employeurs des médiateurs, observées lors de visites de demande d'effectuation de l'enquête et de notre recherche, hésitent souvent entre la confiance obligée, qui s’appuie sur une ethnicisation entendue comme atout se suffisant à lui-même (mais dont les conséquences relèvent alors de l’enfermement), et le refus de tout engagement sérieux dans l’ouverture d’une trajectoire professionnelle positive. Dans l’un et l’autre cas, l'exercice de la médiation sociale fonde sa légitimité dans la réponse à une urgence relationnelle ou organisationnelle, et non sur une approche des espaces professionnels ouverts par de possibles nouveaux métiers (Joseph, 2008). Elle se donne à voir, et nous suivons ici ce qu'écrit Didier Fassin, comme s'apparentant à des métiers de la tranquillité publique, dont la formation qui y prépare relèverait davantage d’une initiation à la communication ou à la gestion des conflits et beaucoup moins d’une analyse des nouveaux enjeux de l’intervention sociale et de la question de la citoyenneté (Fassin, 2004).
55En outre, les occupations auxquelles est destiné ce public à la sortie de la formation renvoient généralement à investir des champs d’intervention délaissés par les travailleurs sociaux traditionnels ou désertés par l’action citoyenne (Ion, 2006). Il ne peut donc s'agir d’une possible appropriation d’un espace métier déjà balisé mais de l'attente d'un fonctionnement espéré, entre substitut et ersatz, dont le moins que l’on puisse en dire est qu’il est encore mal connu des instituts de formation et des institutions sociales. Ces quelques éléments d'analyse rejoignent la conclusion faite par Daniela Gaddi (2004) dans sa synthèse critique des pratiques de médiation, « dans les quartiers dits "difficiles", la médiation des conflits court le risque de se transformer en un "dispositif social panoptique" (Wacquant, 2000), à la façon d'un monitorage modifiant "doucement" les comportements jugés dangereux, ou même seulement "reprouvés" ».
  • 18   Ex-manus-capare : sortir de la prise de main, s'affranchir (Alain Rey, Le robert éd. 2000)
  • 19   Mani-pulare : prendre par la main (Alain Rey, Le robert éd.2000)
  • 20  « L’introduction de la médiation était en soi un constat d’échec pour d’autres professions, ou du(...)
56La question de départ qui interrogeait le statut de la médiation sociale et par là, de ses acteurs, « entre artéfacts et instruments », peut alors être dépassée ou se reposer différemment. La médiation sociale, apparue comme pratique informelle de réappropriation de la communication sociale et d'émancipation18, à distance des pratiques habituelles de sa gestion, s'est vue progressivement prendre en main19 pour devenir « le bras tendu » des politiques de proximité. Une fonction d'outil, vite instrumentalisée, et qui n'a pu s'exercer dans l'accompagnement vers l'autonomie, attendue qu'elle était, comme intervention sociale professionnelle, et empêchée souvent de s'exprimer, par les contextes auxquels elle s'affrontait20: contextes réducteurs de l'employeur qui ne demandait qu'un service de régulation des conflits de voisinage et contextes éclatés de situations complexes à gérer.
57Ont été présentés ici quelques éléments se référant aux deux espaces occupés par ce travail, dans sa dimension méthodologique et dans le questionnement épistémologique qu’il prétendait introduire. Ces résultats démontrent que notre hypothèse était polarisée sur les attentes non tenues de la part des gestionnaires politiques de la médiation face à un défaut de formation professionnalisante du médiateur et face à des critères de recrutement se limitant à l’aisance orale, la sociabilité, le passé scolaire et la proximité culturelle. Si cette hypothèse est partiellement confirmée, les résultats nous renvoient un écho inattendu : les médiateurs considèrent en effet cet emploi comme l’occasion de « sortir d’une impasse » ou d’une situation d’urgence, contrainte qui laisse à distance la notion de choix face à la pénurie d’emploi. Cet emploi, de par son aspect temporaire et non évolutif, influence les préoccupations des médiateurs, qui se tournent vers la recherche d’une situation plus sécurisée.
58Dans le cas présent, on peut comprendre que les nouveaux acteurs soient attachés à une reconnaissance leur permettant d'intégrer un contexte professionnel, même s'il ne leur est laissé d'autre choix que de servir une cause sociétale dont ils ne mesurent pas forcément les enjeux. Cette reconnaissance leur permettrait de prendre leur place dans l'espace du travail social, dont ils sont à présent un des acteurs, même si les lieux professionnels occupés sont ceux de la substitution et pas encore ceux de la complémentarité. Il s'agit alors d'interroger le processus institutionnel qui légitime en boucle, selon un cheminement singulier - repérage de candidats médiateurs, formation, affectation sur le terrain -, la chosification d'un phénomène social qui s'apparente plutôt à un exercice de maîtrise des crises sociales. Ce processus peut même aboutir ainsi à l'inverse de ce qu'il est supposé investir, pour laisser place, dans les formes compassionnelles qu'il développe parfois, à des formes prégnantes de victimisation (Thomas, 1997). Il n'est en effet pas encore fait appel à ce qui pourrait être une professionnalisation vers un nouveau métier par une sécurisation des parcours (Bartoli, 2007), et une réglementation publique inhérente à leur mission. Une entrée dans la formation et la validation professionnelle par la VAE (Validation des Acquis d'Expérience) par exemple permettrait qu'au-delà de globalisations identitaires  une prise en compte des expériences sociales et professionnelles installe une nouvelle visibilité des parcours et légitime la pertinence des proximités et la continuité des trajectoires.
59Sur le plan éthique, on pourrait admettre qu’une société progressiste mais pragmatique soit consciente du besoin de médiation pour corriger les effets négatifs d’un système qu’elle ne maîtrise pas complètement, mais également attendre qu’elle ait, dans le même temps, le projet d’annihiler les inégalités afin de ne pas pérenniser l’accompagnement de la misère. Institutionnaliser la médiation sociale, c’est éthiquement et politiquement affirmer qu’il n’y aura pas de changement.
60Il s'agirait alors de penser à partir d’autres exigences, qui renverraient à prendre en compte dans l’acte-processus de déconstruction-réparation des conflits et du bien être collectif et individuel, les compétences déjà présentes, et de se saisir de ce qui est communément utilisé aujourd’hui comme espace de reconnaissance et de facilitation dans l'accès à la qualification.
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Notes
1  Nous postulons que cette intention est toujours actuelle, bien que les interprétations des crises ou des actes d'incivilité diffèrent selon les gouvernements (pour les uns, perçus comme le reflet d’un « malaise social », pour les autres, réduits à l’expression d’une « violence gratuite »). Si le métier de médiateur est maintenu d'un gouvernement à l'autre, sa place et la nature des missions conférées et les enjeux gravitant dans cet espace, diffèrent sensiblement. Leur étude donne à penser et saisir la place et peut-être la prédominance de la dimension sécuritaire sur la dimension préventive et relationnelle (selon le tryptique décrit par Ben Mrad Fathi, « La médiation sociale : entre résolution des conflits et sécurisation urbaine », Revue Française des Affaires sociales, 2004/ 3 n°3, p.231-248).
2  Premières mises en place de programmes spécifiques au développement urbain : 1977, lancement du programme « habitat et vie sociale » : opérations d'amélioration du logement et des services collectifs (HVS) ;1981, lancement de la politique de « développement social des quartiers » (DSQ) ;1983, Création de la mission « Banlieue 89 » ; 1988, Lancement de la politique de « développement social urbain » (DSU).
3  « La médiation sociale (comme métiers de la présence sociale) a pris son essor grâce à la conjugaison de mesures gouvernementales émanant de la politique de l'emploi et de la ville. Fin 1997 (Lois n°17-940 du 16 octobre 1997), le gouvernement français met en place un dispositif de lutte contre le chômage des jeunes. Ce programme visait à créer 350 000 contrats aidés d'une durée de 5 ans intitulés « emplois jeunes » ; la politique de la Ville, quant à elle, met en place des contrats locaux de sécurité en 1997, cadre dans lequel de nombreux emplois jeunes spécialisés dans la médiation sociale ont été créés. Lorsque ces contrats sont arrivés à terme, s'est posée la question de la professionnalisation de ces emplois de médiateurs sociaux »(Gwenaëlle Hainaux, Pauline Longin, Agathe Teboul, « La professionnalisation et l'institutionnalisation des fonctions de médiation », note de synthèse, CNAM,  INTD, 2009, p. 4-5).
4  Cf. un des premiers dispositifs mis en place en 1994 sous le slogan des « Grands-Frères », à Gagny en Seine Saint-Denis.
5  « Première chambre syndicale réunissant des professionnels en activité et exerçant avec rigueur la médiation » (Statuts 8/12/ 2001). En 2008, la CPMN a adopté une forme statutaire d'ONG, pour intégrer le développement à l'international.
6  Dans leur analyse critique de la philosophie politique, Luc Boltanski et Laurent Thévenot s’intéressent à la manière dont les membres d’une société dépassent les conflits, recherchent et construisent, autour de principes supérieurs communs, des formes de compromis ou d’accord de vivre-ensemble. Confrontés à des situations d’indécision, de rapport de force, de conflit, et/ou de controverse (que les auteurs nomment « épreuves »), les individus cherchent à rationnaliser et/ou justifier leurs actions. Portant l’attention sur la nature des « logiques de justification » revendiquées lors de ces « épreuves », les auteurs identifient les grands « principes supérieurs communs », auxquels se réfèrent les individus, sur lesquels repose leur argumentation et qui caractérisent (avec d’autres éléments comme l’état de grand et de petit, etc.) une « cité ». Une « cité » est donc une logique argumentative, qui se réfère à une conception particulière et idéale du « bien commun ». Lorsque les individus mettent en pratique ces principes par le biais d’objets et de dispositifs, Luc Boltanski et Laurent Thévenot utilisent le concept de « monde ». Les auteurs ont ainsi défini une typologie composée de six « mondes » différents constitués chacun par une cité idéale (civique, domestique, industrielle, inspirée, de l’opinion, marchande). Ni la logique argumentative (cité) ni la logique d’action (monde) ne sont exclusives : en effet, au gré des circonstances, les individus peuvent être amenés à naviguer entre différentes « cités » en mettant en avant d’autres / de nombreux arguments et à appartenir à plusieurs « mondes » ou en changer.
7  Au regard des recherches menées en 1984, par l’historien Gérard Noiriel, démontrant le racisme qui sévissait envers « l’ouvrier étranger » en 1901, le caractère « nouveau » de ce racisme ne réside pas dans l’époque mais dans sa nature. En France, le silence de la science sur le lien entre ethnicité et éducation, que Jean- Paul Payet explique par une « censure idéologique » et un « impensé de la genèse coloniale » (Payet, 1992, p.60), rend difficile la lutte contre l’essentialisation des différences. Cette dernière s’accompagne d’un lot d’idées reçues qui associent échec scolaire, déviance et immigration ou imputent à un défaut d’adaptation aux normes culturelles la situation précaire dans lesquels les individus sont plongés. La quasi-absence sur le lien ténu entre les discriminations sociales et les discriminations ethniques est propre à la France, pays où le principe fondateur d’égalité ontologique entre les individus empêche la différenciation, finalement la reconnaissance de la différence et de certaines discriminations. Ce processus de stratification sociale, qui voit les victimes de discrimination ethnique être ceux qui subissent la discrimination économique, est assumé par les pays anglo-saxons, et justifie l’adoption de mesures de discrimination positive envers ces populations qualifiées de « minorités visibles ».
8  Effet (lat. factum) artificiel (lat. ars, artis). Le terme « artéfact » désigne à l'origine un phénomène créé de toute pièce, ou généré de manière aléatoire (Encyclopédie scientifique : techno-sciences.net)
9  Julien Rémy, Sylvain Pasquier, « Être soi peut-il être professionnel ? Le cas des médiateurs sociaux. », Revue du MAUSS permanente, 19 février 2008 [en ligne].
10 « J’appelle dispositif tout ce qui a, d’une manière ou d’une autre, la capacité de capturer, d’orienter, de déterminer, d’intercepter, de modeler, de contrôler et d’assurer les gestes, les conduites, les opinions et les discours des êtres vivants », Giorgio Agamben, Qu’est-ce qu’un dispositif ?, trad. Martin Rueff, Paris, Payot et Rivages, 2007, p. 31.
11  « Le dispositif, donc, est toujours inscrit dans un jeu de pouvoir, mais toujours lié aussi à une ou à des bornes de savoir, qui en naissent, mais tout autant, le conditionnent. C’est ça le dispositif : des stratégies de rapports de force supportant des types de savoir, et supportés par eux. », Michel Foucalt, Dits et écrits, volume III, p. 299.
12  H pour homme. F pour femme. ESD pour entretien semi-directif. FG pour focus group. Premier nombre pour le numéro de l’entretien retranscrit et le dernier nombre indique l’âge de la personne dont les propos sont rapportés ou analysés.
13  CEJ, ou bien NSEJ pour « nouveaux services emplois jeunes » créés en 1997 (60 mois).
14  Quandles médiateurs [H-FG- 11- 15- 34- 47- 48-…] considèrent que la considération fait défaut dans leur métier, dit autrement, que la grandeur et la noblesse des actions menées en individuel ou en groupe sont dévalorisées.
15  Henri Vieille-Grosjean, « Le feu, les pyromanes et les pompiers », Bruxelles : Contradictions, n°5, 2004, p.119-137. Cette récurrence n’est pas sans nous rappeler le phénotype dressé par Pascal Hug sur les agents de sécurité. Cf. Pascal Hug, « Les agents de sécurité privée noirs : un exemple de discrimination dans le monde de la sécurité », in Les Cahiers de la sécurité intérieure, 2e trimestre 2000, p. 93-117.
16  Nous retrouvons ici Sylvain Pasquier et Julien Rémy dans le lien qu'ils établissent entre identité personnelle et identité professionnelle, la première prédéterminant la seconde (Sylvain Pasquier et Julien Rémy, op.cit.). Par autodidaxie expérientielle, que nous distinguons de l’autodidaxie pragmatique définie supra, nous entendons une autoformation qui ne se limite pas à la réflexion menée ni à l’intuition utilisée dans une situation donnée, mais liée directement à l’expérience singulière de chaque individu, y compris celle des discriminations subies, des amalgames dont l’identité peut faire l’objet et de l’importance donnée à son individualité (identité et personnalité) qui tendent à faire de lui un « idéal-type » de la profession.  
17  Ne sommes nous pas ici reliés à d’autres images de la médiation, notamment celles, sacrificielles et sublimées,  développées sur le thème du rachat par certaines religions ?
18   Ex-manus-capare : sortir de la prise de main, s'affranchir (Alain Rey, Le robert éd. 2000)
19   Mani-pulare : prendre par la main (Alain Rey, Le robert éd.2000)
20  « L’introduction de la médiation était en soi un constat d’échec pour d’autres professions, ou du moins une forte remise en question de leur action", policiers, travailleurs sociaux, chauffeurs de bus, concierges d'immeubles ». Par ailleurs leur présence au service de l'ordre était interprétée souvent par leur « clientèle » comme un abandon voire une trahison. Cf. Nicolas Chantrenne et Emmanuel Moreau, « Les emplois-jeunes dans la médiation sociale : une manne sous-exploitée ? », Les annales des mines n°29, 2004.
Pour citer cet article
Référence électronique
Henri Vieille-Grosjean et Rachel Solomon Tsehay , « Les médiateurs sociaux : limites et enjeux d'un dispositif », Sociétés et jeunesses en difficulté [En ligne], n°12 | Automne 2011, mis en ligne le 20 décembre 2012, Consulté le 15 janvier 2014. URL : http://sejed.revues.org/7320
Auteurs
Rachel Solomon Tsehaye est docteure en sciences de l’éducation, chercheure à l’Institut de recherche en éducation (IREDU-CNRS), enseignante en master I et II, Enseignement premier et second degré (IUFM et Université de Bourgogne). Ses recherches, relevant des champs de la sociologie (de l’éducation et du développement) et de l’anthropologie (culturelle et sociale), ont impliqué des enquêtes de terrain sur le long terme en Afrique sub-saharienne. Après s’être intéressée aux différentes formes de l’éducation et aux choix auxquels ils soumettent les membres de la société civile, la chercheure focalise son attention sur le processus de professionnalisation, aussi bien des enseignants que des travailleurs sociaux.
Henri Vieille-Grosjean est professeur d’anthropologie à la faculté des sciences de l’éducation et chercheur au Laboratoire interuniversitaire des sciences de l’éducation, de l’information et de la communication (LISEC). Université de Strasbourg. Dans sa carrière, il s’est concentré sur deux axes de recherche qui questionnent le processus d'apprentissage dans sa relation à l'identité des individus et des collectifs, dans les deux contextes de son actuation. Le premier contexte renvoie à l'espace normatif, occupé par un enseignement dont les prétentions à la pédagogie s'effritent dans leur rencontre avec les artéfacts mystagogiques. Le deuxième contexte, plus informel, intéresse les expériences éducatives et formatives du quotidien, comme l'école de la rue en Afrique par exemple.
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Référence électronique
Henri Vieille-Grosjean et Rachel Solomon Tsehaye, « Les médiateurs sociaux : limites et enjeux d'un dispositif », Sociétés et jeunesses en difficulté [En ligne], n°12 | Automne 2011, mis en ligne le 20 décembre 2012, consulté le 21 juillet 2014. URL : http://sejed.revues.org/7320
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