Henri
Vieille-Grosjean et Rachel Solomon Tsehaye
Résumés
Suite à une recherche visant à mesurer les limites et
les enjeux du dispositif de médiation sociale, les auteurs proposent
d’interroger dans cet article, les attentes réciproques du médiateur social et
de son employeur, la communauté urbaine. Cette recherche sociologique est de
type compréhensif : elle utilise la méthode de l’entretien individuel et
du focus group. L’analyse des résultats est soutenue par les apports de
Boltanski et Thévenot afin de comparer les « mondes » référentiels
des deux types d’acteurs. Elle est complétée par l’analyse des notions de « dispositif »
(Foucault) et de « professionnalisation » (Hainaux et al.,
Bartoli). Les auteurs tentent de comprendre dans quelles mesures les acteurs
entendent l’implication dans la médiation.
Mots-clés :
Keywords:
Palabras claves:
Plan
Parcours
scolaires
Formation et
avenir professionnel
Texte intégral
Un regard sur l'histoire de nos sociétés occidentales
(Fourquin, 1972 ; Paugam, 1993) peut laisser penser que ces sociétés, même
sous l'ancien régime, n'ont jamais bénéficié de stabilité immuable dans la
répartition des richesses, des pouvoirs et des symboles. Depuis 40 ans,
certains rapports sociaux s'inscrivent dans une situation conflictuelle qui
s'extériorise ponctuellement par des crises paroxystiques. Cette situation est
entretenue par une double pression. Celle provoquée par l'inégalité de l'accès
aux droits et à l'information, qui met en question les principes fondateurs de
la démocratie, et celle relevant de la volonté revendicative d'une frange de la
population, d'accéder aux différentes formes de la visibilité sociale et de la
réussite (Beauvois, Doise & Dubois, 2006).
C'est ainsi que depuis les opérations « été
chauds » des années 80, la société française tente d'apporter des réponses
par des expertises qui viennent expliquer ce qui ne fonctionne pas dans notre
organisation sociale. Ces dernières ne suffisent pas à résoudre des problèmes
dont la complexité résiste aux analyses. Dès lors, une catégorie de
spécialistes du malaise social va apparaître, censée faire le pont entre la
société valorisée et celle qui est en déshérence (Fassin, 2004), et se
concrétisant par « la construction de la figure de médiateur en tant que
professionnel "social" expert en conflits » (Gaddi, 2006).
- 1 Nous postulons que cette intention est toujours actuelle, bien que les interprétations des crises (...)
La recherche, présentée ici, procède d’une série
d’entretiens individuels et collectifs menés en 2007 et 2008 durant la
formation des individus désireux de devenir médiateurs sociaux. Elle interroge
le processus de mise en place d'un dispositif de médiation sociale par les élus
locaux dans le cadre de l’implémentation de politiques locales qui visent, dans
leur intention1, à mieux gérer certaines situations sociales
inédites et non maîtrisées. Nous nous attacherons à expliciter les enjeux
relatifs à ces intentions en analysant les attendus et les perspectives
offertes aux personnes employées dans le cadre de la mise en acte de ces politiques.
Nous commencerons par faire connaissance avec eux : la description de
notre panel, selon la méthode qualitative de l’entretien collectif focalisé (ou
focus group), libère un espace de parole stimulé par l’interaction. Le
traitement des entretiens permettra d’analyser les motivations des médiateurs,
les perceptions qu’ils ont de leurs interventions. Nous les confronterons à
celle des politiques locales, dans le but d’évaluer les enjeux liés au
dispositif et aux pratiques de médiation sociale.
La présence de médiateurs sociaux en France date ainsi
du milieu des années 80. Elle est inspirée des projets québécois d'intervention
en médiation sociale et communautaire (Louison et Valastro, 2004). L'arrivée de
médiateurs sur les quartiers et territoires de socialisation repose d'abord
essentiellement sur l'investissement par la société civile d'une nouvelle forme
d'intervention sociale (Madelin, 2007), dans le cadre de la politique de
la ville2. En effet, les premiers arrivés, dans ce qui était appelé
« les cités », sont des bénévoles dont les interventions interrogent
la pertinence des données de cadrage du travail social. Ces dernières se
référant en effet davantage aux mesures à prendre pour minorer certaines formes
de dangerosité et moins à la requalification sociale (Ion, 2006; Astier, 2007).
- 2 Premières mises en place de programmes spécifiques au développement urbain : 1977, lancement du pr(...)
Les premiers médiateurs devaient répondre, en effet, à
une double nécessité : accompagner les politiques sociales dans certains
quartiers urbains (Guillaume-Hoffnung, 1999), et utiliser la négociation pour
anticiper le recours à la loi ou à un arbitrage institutionnel (Bonafé-Schmidt,
2002).
- 3 « La médiation sociale (comme métiers de la présence sociale) a pris son essor grâce à la conjugai(...)
6Dans une deuxième étape, la plupart d'entre eux se
retrouvent employés par les collectivités locales, mairies, communautés
urbaines ou collectifs associatifs, dans le cadre en particulier des emplois
jeunes3
(Hainaux et al, 2009). Il s'agissait en effet, de canaliser des
interventions qui, se substituant au manque de repères et de réponses des
gestionnaires de la vie civile, « renvoyaient à un ensemble de nouvelles
pratiques assez disparates d'acteurs sociaux » (Lemaire et Poitras, 2004,
p.19). C'est ainsi que la médiation sociale fut assez rapidement assimilée à
l'apparition d'une nouvelle catégorie professionnelle (Divay, 2005).
- 4 Cf. un des premiers dispositifs mis en place en 1994 sous le slogan des « Grands-Frères », à Gagny(...)
7La lecture des différents rapports et articles,
traitant de l'apparition de cette nouvelle profession (Chappaz, 1995 ;
Astolfi, 1997 ; Guillaume-Hoffnung, 1999), nous apprend qu'ayant d'abord
été destinée à rentrer dans la grande famille du travail social, elle ne
bénéficie, une vingtaine d'années plus tard, que d'une affiliation très
éloignée. Les médiateurs de rue interviennent en effet selon des
modalités, temps et lieux peu ou non fréquentés par les travailleurs sociaux
(Chopart, 2000). Ces derniers leur ont d'autre part souvent reproché leur
manque de qualification et de diplôme professionnel (Chantrenne & Moreau,
2004). En effet, les premiers moyens à disposition pour s’acquitter de missions
parfois nocturnes et souvent difficiles, parce qu’aux premières loges de la
précarité, sont ceux que leur octroie la légitimité d’une proximité sociale,
générationnelle4, et le plus souvent ethnique (Roques, 1998).
C’est aussi le courage d’une habitude à vivre des situations de conflits et de
rapports de force physiques, semblables à celles auxquelles ils sont confrontés
sur le terrain de leurs activités de « médiation ».
- 5 « Première chambre syndicale réunissant des professionnels en activité et exerçant avec rigueur la(...)
8D'autres sous-catégories professionnelles relevant de
la médiation existent. Elles sont spécialisées
auprès des familles, des entreprises ou des administrations. Affiliées à la Chambre
professionnelle nationale de la médiation et de la négociation5,
elles s'honorent d'un code d'éthique et de déontologie auquel se réfèrent leurs
pratiques : tarification libre, conflit d'intérêt, adhésion à la Chambre,
possession d'un diplôme, carte professionnelle, obligation de moyens et non de
résultat… En outre, leurs activités sont légitimées par un master
professionnel, alors que les médiateurs sociaux n'ont généralement pas accès à
des formations longues, même lorsque celles-ci s'annoncent comme généralistes.
Les temps de formation consacrés à la médiation sociale varient entre deux
jours et deux semaines. Seules deux universités (Strasbourg et la Réunion)
développent une formation pendant deux ans, à l’issue desquelles les étudiants
peuvent obtenir un « Diplôme d’Etudes Universitaires Scientifiques et
Techniques (DEUST) médiation sociale et citoyenne (diplôme homologué bac
+2) ».
9En regard de ces aspects contextuels, la question qui
fonde ce travail interroge la pertinence de la mise en place du dispositif de
médiation sociale, à travers la mesure de la distance existante entre les
postures de ses agents et les projets des acteurs politiques qui l'ont initié
et structuré (Bouquet et Jovelin, 2005). Les
contextes mentionnés, qui caractérisent le terrain quotidien des médiateurs
sociaux, relèvent le plus souvent d’une double attente non satisfaite, celle
d’une population et celle de bailleurs sociaux par exemple, dont le conflit
peut être l’expression. En référence au modèle théorique de Boltanski et
Thévenot, deux « mondes » de référence s’opposent : celui des
habitants et celui du bailleur, avec lesquels les médiateurs ont à composer. Il
s’agit pour ces derniers d’identifier les lignes de tension entre ces deux
« mondes » et d’aboutir à « un accord juste aux yeux des
médiés »6. C’est à cette grille
théorique, donc au sens donné au concept de « mondes » par Luc
Boltanski et Laurent Thévenot, que nous soumettons l’analyse des discours des
médiateurs. Lorsque ceux -ci expliquent et justifient leurs pratiques :
quel(s) monde(s) mettent-ils en avant ?
- 6 Dans leur analyse critique de la philosophie politique, Luc Boltanski et Laurent Thévenot s’intére(...)
- 7 Au regard des recherches menées en 1984, par l’historien Gérard Noiriel, démontrant le racisme qui(...)
10Le métier du médiateur
social repose sur le conflit d’une part, mais plus largement, sur le
renforcement des liens sociaux et l’amélioration des formes de socialisation
entre les personnes (Ben Mrad, op.cit.). Comme matrice de ces
contextes donnant naissance à la profession de médiateur social, les
spécialistes de la sociologie urbaine évoquent les phénomènes d'exclusion et de
précarisation, la territorialisation des difficultés socio-économiques,
provoqués à la fois par « l’affaiblissement du modèle d’identification
républicain, la déliquescence des liens sociaux, l’instabilité des solidarités
familiales et l’affaiblissement des relations d’entraide » (Stébé,
2005). Ce à quoi s’ajoutent une nouvelle pauvreté
dont celle des jeunes (Paugam, 1994) et un nouveau racisme (le
« racisme culturel », Barker, 1981) qui s’attache à maintenir
les descendants d’immigrés des colonies dans une position subalterne, en ayant
recours à une interprétation systématique des
conflits et/ou comportements dans une perspective culturelle qui néglige les
facteurs historiques, sociologiques, psychologiques, etc. Ce racisme, accentué
par le déclin du mouvement ouvrier, éloigne les rapports sociaux d’une
définition sociale et les font tendre vers une racisation des individus
(Wieviorka 1991, cité par Plivard, 2010, p.31), c'est-à-dire vers une analyse
imputant aux comportements (déviants) une origine ethnique7.
- 8 Effet (lat. factum) artificiel (lat. ars, artis). Le terme « artéfact » désigne à l'origine un phé(...)
11La réponse aux questions posées par ces situations
se concrétise par la présence sur les territoires urbains de médiateurs sociaux.
C'est le statut donné à cette présence par les élus qui peut être
questionné. Cette nouvelle profession de régulation
des rapports sociaux s’articule nébuleusement autour de trois dimensions
prévention, relation et sécurisation, gestion de la violence, (Ben Mrad, op.cit.),
qui mobilisent de multiples compétences (interculturelles, relationnelles,
singulières) et qui s’incarnent dans une pluralité de modes : présence,
observations, écoute, animation, etc.). C’est aussi l’importance voire la
prédominance de l’une ou l’autre de ces dimensions qui doit être interrogée.
Autrement dit, en regard des dispositifs qu'ils animent, ces nouveaux agents de
la paix sociale sont-ils plutôt des acteurs chargés de mission, des
instruments, utilisés pour légitimer des politiques de proximité, ou des
artéfacts8,
prisonniers d'une conjoncture et de la fragilité ?
12Ce premier questionnement, qui interpelle la mise en
place de la médiation sociale en France, ressort en fait de l'observation d'un
phénomène de production d’un consensus ou d’une convention qui lie les
individus en fonction de leurs attentes réciproques. Prenant appui sur le
référentiel théorique de Boltanski et Thévenot (1991), la mise en place de la
politique organisationnelle de la médiation sociale interroge les différents
« mondes » et les différentes « cités » auxquelles
appartiennent et/ou font référence les médiateurs mais aussi leurs employeurs.
Les médiateurs sociaux sont engagés dans des situations à la fois
conflictuelles et coopératives. La problématisation de notre objet repose sur
les références à ces « mondes » qu’impliquent les formes de
coopération évoquées dans les discours, autrement dit, les modalités selon
lesquelles les médiateurs sociaux justifient/expliquent leur activité
professionnelle. Elle se fixe l’objectif de comprendre la nature des mondes sur
lesquels repose l’équilibre du consensus ou du compromis entre les médiés, et
dans le même temps, les raisons pour lesquelles les attentes réciproques ne se
rencontrent pas.
13En effet, ce phénomène - le fait d’être engagé
dans des situations conflictuelles et coopératives - autour duquel
s’articule la profession du médiateur, peut être approché selon différentes
catégories qui s’inscrivent dans une double modélisation des pratiques,
l’autodidaxie pragmatique et le quadrillage représenté par des formes reconnues
de professionnalisation.
- 9 Julien Rémy, Sylvain Pasquier, « Être soi peut-il être professionnel ? Le cas des médiateurs sociaux (...)
14Une catégorie se référant à une dimension
identitaire tout d'abord : du côté des agents, la médiation sociale renvoie généralement à une première modélisation des
pratiques et des stratégies d'intervention. En effet, majoritairement sans
formation professionnelle, les médiateurs, voués à penser et créer
intuitivement leur métier « sur la base du vécu passé et au coup par coup
des interventions », voient leur identité professionnelle imbriquée et
inséparable de leur identité personnelle (Pasquier et Rémy, 2008)9.Les
médiateurs sociaux se définiraient alors par/dans une autodidaxie pragmatique,
leurs habiletés ayant été acquises par une démarche personnelle
d’autoformation, entre intuition et réflexion, nécessaire à la réalisation de
tâches dans une situation donnée.
- 10 « J’appelle dispositif tout ce qui a, d’une manière ou d’une autre, la capacité de capturer, d’orie(...)
- 11 « Le dispositif, donc, est toujours inscrit dans un jeu de pouvoir, mais toujours lié aussi à une(...)
15Une catégorie relevant d'une dimension
socio-économique. A cette référence qualificative, qui se situe dans le
registre d’une socialité primaire, vient s'ajouter une inscription dans une
catégorisation professionnelle et un référentiel de qualification. Le deuxième
cadre conceptuel mobilisé pour interroger la nouvelle norme
professionnalisante, diffusée par les responsables politiques et le discours de
professionnalité qui l’accompagne tenu par les gestionnaires, pourrait renvoyer
donc à la notion de dispositif. Au sens décliné par Giorgio Agamben pour qui le
dispositif s'inscrit dans un contexte qui suppose l'existence d'un dedans, « l'individu socialement
inséré étant un individu professionnalisé », et d'un dehors, « vie
nue exposée au pouvoir souverain »10.
Mais nous pouvons également mobiliser le sens donné au dispositif par Michel
Foucault (1984), le dispositif étant entendu à la fois comme
« quadrillage » et« enfermement »11.
16Autre référence catégorielle, plus heuristique,
celle retenue par Brigitte Albéro, qui en reprenant les travaux de Francisco
Varela, installe le dispositif lié à l'apprentissage dans une tension entre
deux paradigmes, celui d'instruction et celui d'autonomie. En ouvrant la notion
d'apprentissage à tout processus d'inclusion, on retrouve les deux dimensions
évoquées plus haut, auto-construction d'une identité professionnelle et
inscription dans des formes reconnues de professionnalisation. Il s'agit en effet d'approcher un processus qui
s'apparente et relève à priori du travail social et qui s'organise plutôt selon
« des formes coopérantes et autonomisantes », tout en participant
également d'un dispositif spécifique, élaboré et construit sur un habitus
sécuritaire, en utilisant plutôt des « formes prescriptives et
tutorales » (Albero, 2009, p.83).
17Autre catégorie, celle renvoyant à la dimension
sociopolitique de la démarche. Cette catégorie permettrait de saisir la
médiation sociale dans sa fonction d'outil des politiques de proximité en
s'appuyant sur les dynamiques d’obligation et de légitimation qui la
fabriquent. Les conditions d'émergence de la médiation sociale, décrites supra,
pourraient ainsi faire penser à un processus de professionnalisation,
laquelle participe de deux objectifs :
18- Le premier semble être de renforcer et
généraliser ce qui a été inventé de façon éclatée et désordonnée, pour inscrire
dans un ordre social des pratiques et des manières de faire relevant davantage
de l’investissement individuel, en stabilisant des agents concernés.
19- Le deuxième objectif parie sur une efficacité, une
viabilité économique et donc une reconnaissance sociale, obtenue grâce au
passage de l’engagement individuel à une pratique professionnelle et à la
possibilité, pour les nouveaux praticiens, d’un accès classique et non plus
aidé, aux emplois et donc au marché du travail (Jeannot, 2007).
20D’autre part, inscrire la professionnalisation comme
processus de mise en place de dispositifs professionnalisants demande que
soient à la fois considérés les modes de développement de savoirs
professionnels propres à l’amélioration des compétences des individus, les
parcours et conditions de leur insertion professionnelle et les conséquences de
cette insertion sur l’émergence d’une nouvelle profession (Altet, Guibert &
Perrenoud, 2010, p.8).
21Cetteapproche notionnelle,référée à la
médiationsociale, fait progresser notre questionnement initial dont nous avons
dit qu’il interrogeait les intentions des initiateurs du dispositif et de ses
gestionnaires. Il nous permet de fonder notre recherche sur une première
hypothèse qui attribue à la médiation sociale et à ses promoteurs
des intentions fondatrices dont l’ambigüité obère l'efficacité :
promouvoir (faire émerger, mettre en place…) une forme de renouvellement
de la perspective d'intervention du travail social (Chappaz, 1995), tout en
restant prisonniers de la précarité d'un dispositif qui ne peut s'installer que
dans la conjoncture (Pasquier et Rémy, 2004). Partant de cette réflexion, nous
avons émis une deuxième hypothèse : la professionnalisation des médiateurs
sociaux est un leurre : dirigée vers des publics dont la présence relève
de la seconde chance et de la précarité, elle s'inspire d'une logique
opératoire qui, en n'offrant pas les possibilités de construction d'une
identité professionnelle structurante, a tendance à renforcer une forme de
stigmatisation.
22Pour tester nos hypothèses, nous mobiliserons
l’analyse des données recueillies lors d'entretiens réalisés avec un groupe
de médiateurs. Le guide d’entretien a été organisé selon quatre axes :
leurs appartenances identitaires, leurs histoires scolaires, leurs positions au
regard de l’emploi et leurs perspectives et projets.
23Notre recherche s'appuie sur une démarche qualitative
à visée compréhensive. Elle s'est organisée en deux temps : des groupes de
discussion (d’une heure trente) constitués de 8 à 12 personnes faisant suite à
des temps de formation (méthode du focus group, Catterall &
Maclaran, 1997) et des entretiens individuels semi-structurés. Les entretiens
(18 personnes à trois reprises) se déroulent sur rendez-vous pris devant la
mairie de quartier, lieu d'arrivée et de départ des employés en fin de mission
ou venus chercher les consignes pour la mission suivante. Sans être
représentatifs de l'ensemble des médiateurs travaillant dans la communauté
urbaine qui a servi de terrain pour l'enquête, ce panel a été construit en
fonction des rencontres faites durant deux années.
24Permettant la participation de chacune des personnes
présentes, dans un environnement déjà apprivoisé (coin-détente fréquenté à
chaque « inter-mission »), cette méthode interactive fait émerger des
paroles réactives facilitant la relance au sein du groupe. Grâce aux
divergences et aux différences exprimées par les médiateurs, une première
objectivation des facteurs associés aux opinions, attitudes ou motivations, est
possible.
25Conscients des aléas réactionnels et situationnels
propres à cette méthode, à savoir la captation de la parole (leader-effect)
liée à certaines formes de panurgisme (cf. Morghain & Schadron, 2001),
cette difficulté a pu être progressivement évacuée par des prises de paroles
plus libres et moins axées sur un automatisme de réponses aux questions posées.
26Cette approche socio-sémantique, dont nous venons de
décrire le contexte de l’énonciation, nous oblige maintenant à décrire les
caractéristiques du panel. Composé de 96 personnes, ses caractéristiques
socio-anthropologiques sont les suivantes : la classe d’âge 18-25 ans
représente 83% de la population enquêtée. Celle-ci est à 78% masculine. Ceci
s’explique par le fait que les filles restent, au bout de sept ans d’activités
des organismes recruteurs, moins sollicitées pour effectuer un travail dans
lequel la dimension relationnelle et conflictuelle de leur mission peut les
impliquer et les prendre à partie physiquement.
27L’analyse de contenu des entretiens nous permet
maintenant de classifier les occurrences, de les faire émerger en dimensions et
d’interpréter ces univers dans lesquels s'expriment des contraintes, des
oppositions et des résistances.
28Parmi les thématiques abordées lors des échanges,
certaines font référence à une formation à laquelle l'ensemble des participants
avaient été inscrits. Nous n’avions pas intégré la formation à notre modèle
d’analyse mais dans la mesure où cette dimension a émergé dans les focus
groupe, nous avons fait le choix de ne pas l’ignorer. Il s’agissait en outre
d’un indicateur pertinent de la professionnalisation, dont les conditions de sa
mise en place et ses contenus devaient être approchés. Il a donc été procédé
également à une lecture des contenus de cette formation, mais ceci, sans
élaboration à priori d’un cadre interprétatif.
29Prénoms et lieux de naissance des parents : les
prénoms sont une des premières caractéristiques identitaires apparues. Ils sont
à très forte majorité étrangers, et leur répartition découpe un paysage
international assez étendu (Maghreb, Turquie, Europe, Extrême Orient).
Encadré n°1 : Prénoms des garçons et des filles
Encadré n°2 : Parcours scolaires des médiateurs
30Les parcours scolaires sont à l’image des origines
géographiques représentées, assez variés, en durée et en spécialité. En effet,
si le tiers des individus excipe d’une histoire scolaire inachevée, et arrêtée
pendant la seizième année, en première année de lycée général, un autre tiers
est sorti du LEP, en fin de formation de BEP ou de CAP. Le troisième
sous-ensemble regroupe des profils scolaires très divers, qui vont d’une
formation universitaire de premier ou deuxième cycle dans le pays d’origine,
plus rarement en France (deux DEA), à des apprentissages commencés très tôt sur
le chantier et confinés à l’entreprise paternelle. Ces derniers parcours
restent rares. Cela pourrait s’expliquer par le profil anthropologique des
publics recrutés dans les apprentissages (masculinisé et surtout rural). Cette
orientation en apprentissage (qui comprend aussi un recrutement par un
employeur) reflète les discriminations notamment ethniques à l’œuvre sur le
marché de l’emploi (Gasquet et Arrighi, 2010). Les activités professionnelles
exercées sont regroupées sous les vocables « intérim » et
« petits boulots ». Parmi les secteurs d’activités les plus cités, on
trouve des services tels qu’agents d’entretien ou de sécurité, vendeuses,
réparateurs en électrotechnique, mais également l’artisanat avec des emplois de
mécanicien ou ébéniste. Sont cités également les pratiques d'animation,
animateur sportif, aide éducateur, et les investissements dans des activités
sociales comme bénévoles dans une association de quartier (type Maison des
Jeunes et de la Culture ou Centres Sociaux).
- 12 H pour homme. F pour femme. ESD pour entretien semi-directif. FG pour focus group. Premier nombre(...)
31Les parcours scolaires et professionnels sont issus
d'orientations qui sont dites « obligées », « bâclées » ou
« incomprises ». Les individus, majoritairement diplômés des LEP témoignent
avoir vécu comme une humiliation voire un mépris de la part du comité
pédagogique, leur orientation en LEP : « Le LEP, j'en voulais pas, mes
parents non plus » (H-FG-2-23)12. Les parents, peu familiers et loin d’être des
experts des rouages du système éducatif, ne disposaient pas du capital
social, culturel et économique, disent-ils dans d’autres termes, de
« l’audace » de contrer cette décision d’orientation. Osée à
plusieurs reprises, mais restant rare, car de l’ordre de l’aveu et de la
conviction intime difficile à extérioriser en collectivité, la tendance qui se
manifestait dans les discours était celle d’une orientation en LEP liée non
seulement à leur niveau scolaire (Dubet, 1991) mais surtout à leur origine
ethnique : cette configuration est identique à celle démontrée dans les
recherches de Nathalie Kakpo, qui évoque l’intériorisation d’une orientation en
LEP comme le résultat d’une équation : « magrébins = Lycée professionnel »
(Kakpo, 2005).
32À ces parcours scolaires, s’ajoutent des histoires
familiales personnelles en construction et qui ne peuvent qu’être ébauchées et
entr’aperçues, mais dont la seule évocation en laisse deviner la fragilité et
la complexité : « pour l'instant, faute de mieux, je vis avec ma
copine, chez l'habitant » [hébergement parental/ H-FG-5-25]. Quelques
personnes vivent en couple, mais la plupart se déclarent célibataires, avec
parfois un enfant présent dans les mentions faites de la vie quotidienne.
Encadré n° 3. Situation matrimoniale
33Hormis les souvenirs peu précis et peu enjoués de
leurs années scolaires : « là au collège on peut dire que je me suis
ennuyé », quelques témoignages (7) font référence à la participation à une
formation professionnelle ayant permis une insertion dans un emploi. Il est
ainsi fait mention d'apprentissages, et les interviewés rappellent des
conditions de travail parfois très dures : 6 jours par semaine dans
certains cas, à raison de 12h par jour, pour les métiers de la bouche en
particulier « on démarrait à 6h, puis 10mn de pose à 9h, et le patron nous
laissait pas nous asseoir » [boulanger -H-FG-2-19]. Autre remarque
récurrente, celle de l’inutilité d’un apprentissage passé à nettoyer ou effacer
les traces de graisse de l’atelier : « c'était toujours la même chose
avec le patron, nettoie, tais-toi et rame ». Que ce soit à propos de leur
métier d’élève ou de celui ou de ceux qu’ils ont exercés adultes, les discours
disent la frustration face au manque d’autonomie, de possibilité de prise
d’initiative et de responsabilisation. Ils témoignent également de celle
d’exercer un travail sous surveillance qui consiste en l’exécution de gestes
précis et répétitifs, et qui n’exigent qu’ordre et obéissance.
34Aucune information ne fait état d'une formation
qualifiante, mais de souvenirs positivant un apprentissage, « ma formation
je l'ai eue sur le tas comme on dit », par une pratique autodidacte
d’animation ou d’encadrement sportif par exemple. Les projets, quand ils
existent, sont référés à des métiers désirés. Il est à noter qu’à l’instar des
métiers, les formations souhaitées ont été revues à la baisse depuis
l’adolescence, en regard des expériences et des résultats aux tests,
évaluations ou autres bilans de compétences qui infléchissent leur vie
professionnelle. Le paysage dessiné est loin de représenter les hauts sommets
et les rêves des années de la prime jeunesse sont évoqués à la mesure d’utopies
infondées et abandonnées : « j'ai toujours voulu être pilote d'avion,
mais tout ce que je peux espérer aujourd’hui, c'est de conduire un bus »
[H-FG-16-20].
35L'emploi qu'ils occupent relève du dispositif
« Contrat emplois jeunes »13 et d'un contrat pouvant être renouvelé pendant
4 ans et passé avec un seul employeur : la Communauté Urbaine. Ce
dispositif, utilisé comme un outil d’insertion, ne prend pas à priori comme
critère discriminant le niveau de qualification du jeune, ni ses expériences
professionnelles. Ses bénéficiaires ont donc, en regard du monde du travail,
des histoires et des représentations différentes et parfois très éloignées les
unes des autres. Plus précisément, deux critères semblent prévaloir dans
l'investissement des missions qu'ils doivent accomplir : leur ancienneté
dans l'emploi occupé et la perception qu'ils ont de leur situation. Certains se
perçoivent comme vivant une expérience de la dernière chance : « j'ai
tout essayé et rien ne m'a réussi, alors, j'y suis, et je compte bien y
rester » [H-FG-73-26]. À l'inverse, d'autres, mentionnant les différents
emplois qu'ils ont déjà connus, n'ont que peu de considération pour ces
emplois-jeunes dans lesquels ils se sentent dévalorisés et qui n'ont selon eux
que peu de chance d'être pérennisés : « les CEJ, ça c'est bon pour
les politiques, ça fait baisser les chiffres du chômage, mais on peut nous
jeter comme on nous a pris » [H-FG-29-20]. Entre les deux extrêmes, on
trouve les plus anciens dans cet emploi temporaire, ceux pour qui la motivation
renvoie à une préoccupation de survie dans l’emploi, ce qui les éloigne de la
dynamique de professionnalisation (Ben Mrad, op.cit., p.243). Le métier
de médiateur représente alors un bon compromis « en attendant mieux »
[H-FG-53-22]. Ils disent, dans leur grande majorité, leur lassitude de se voir
maintenus dans un statut provisoire. Ils disent leur envie de voir se
concrétiser ce qui leur était proposé comme autre insertion professionnelle, du
chauffeur de bus au travailleur social, et qui rend possible le suivi de
formations traditionnelles leur permettant l’accès à des métiers
« codifiés », aux référentiels reconnus et officiels (Barthélémy,
2009).
36Un autre groupe, plus jeune, et vivant ce premier
emploi comme la première opportunité de salaire, se disent satisfaits de ce qui
leur est proposé, après avoir cherché sans succès (1 an à 4 ans) du travail
après leur sortie de l'école.
37La formation à laquelle les médiateurs sociaux
ont participé est décrite uniquement en référence au futur emploi à
occuper. Elle est évaluée par un double regard :
38- l’ensemble des séquences de formation portant sur
la connaissance de soi et la maîtrise personnelle, la négociation et la gestion
des conflits sont diversement appréciées selon que les individus se sentent
plus ou moins évalués pendant le déroulement de ces séances. Ils mentionnent
notamment les heures passées en jeu de rôle, dans leur fonction de
sélection : « derrière la participation aux jeux, on voit bien que
c'est notre emploi qui est visé » [F-FG-38-23].
39- les séances portant sur les informations de base
sont, à quelques exceptions près, considérées comme remplies d’évidences,
décalées ou « clichées » [F-FG-6-21]. Ces séances, à prétention
interculturelle, traitent de l’hétérogénéité des médiés et de la diversité
socioculturelle relative à leurs futurs territoires d’actuation et aux
conditions sociales et économiques qui les caractérisent. Elles sont animées
par des agents d’institutions partenaires (rencontres informatives des services
sociaux et administratifs). Les médiateurs sociaux reprochent à ces animateurs,
à la fois le manque de profondeur ou de pertinence de leurs interventions ou
encore la stigmatisation dont ils font preuve à l’égard des formés
« malgré une bienveillance affichée ». Les médiateurs sociaux
rapportent ce qui leur est énoncé à ce qu’ils connaissent ou ont éprouvé :
« ce qui est sûr, c'est qu'ils répètent des conseils sur des choses qu'ils
n'ont pas vécues »[H-FG-5-24]. L’évaluation des formateurs est donc
également entendue, dans son approche implicite, non formative, comme proche de
l’élaboration de « jugements » subjectifs qui dépassent le cadre de
leur mission professionnelle. D’autres (H et F- FG et EI) disent leur sentiment
de sentir, de la part de ces « agents-formateurs », un regard
critique relatif à leur forme de langage « inappropriée » (alors que
les médiateurs estiment devoir leur emploi à leur proximité culturelle et
linguistique avec ce public), voire un regard accusateur sur les familles des
cités, stigmatisant leurs caractéristiques anthropologiques (des familles
« qui font trop d’enfants ») et leurs pratiques éducatives ou
culturelles (entre imposition autoritaire de règles et absence d’autorité
etc.).
40Ces discours témoignent d’une première tension née
d’une controverse au sein « du monde domestique ». Cette
contradiction des représentations se traduit chez les médiateurs par le fait
qu’ils se sentent « piégés » dans des rôles professionnels. Ces
derniers les obligent à « enfreindre des règles » telles que :
le respect de la hiérarchie de l’âge [H-EI-15-22], la fonction du type de
famille valorisée (nucléaire ou élargie), les figures de références différentes.
Les médiateurs se retrouvent ainsi parfois assignés à des rôles incompatibles
avec les pratiques culturelles en place.
- 14 Quandles médiateurs [H-FG- 11- 15- 34- 47- 48-…] considèrent que la considération fait défaut dans(...)
41- Si discorde il y a, au sein du « monde
domestique », parfois du « monde de l’opinion »14
, le compromis entre les médiateurs et leurs employeurs se fonde sur un intérêt
supérieur commun. Médiateurs et employeurs se retrouvent unis dans le
« monde civique », dans la croyance en la prééminence du collectif et
en l’intérêt général. Par cette inscription, rendue visible par le port d’un
uniforme, les médiateurs contribuent à l’affichage d’un idéal d’harmonie, de
cohésion et de paix sociale.
42Cette inscription va provoquer des réactions parfois
très fortes des personnes qu’ils ont à rencontrer, et qui vont interpréter
leurs postures comme participant d’une volonté d’uniformisation culturelle.
Elle leur vaut parfois des noms d’oiseaux, tels que « collabo » ou
« harki » [H- EI- 18- 23 et H-EI- 9- 24]. Les médiateurs recherchent
ainsi deux formes de reconnaissance, sociale et professionnelle, et ils se
heurtent finalement à une instrumentation par leurs employeurs qui les
réduisent à l’utilisation temporaire de leur force vive, et à une
déqualification de la part des médiés.
43- Si « le monde marchand » n’est pas
prédominant dans les représentations des médiateurs sociaux, c’est qu’il existe
uniquement dans l’espérance cultivée de mobilité professionnelle et d’ascension
sociale où l’emploi occupé de médiateur sert de tremplin. La représentation de
l’autre est positive, les phénomènes de concurrence et de relations d’intérêts
sont absents puisque la sélection d’entrée en formation les conduit tous à
l’obtention et l’exercice d’un emploi identique, et sans responsabilités
hiérarchiques.
44- Dans ce qu’ils disent de leur exercice
professionnel, les médiateurs de notre échantillon témoignent peu d’une
préoccupation d’efficacité. Le souci d’un impératif de productivité,
difficilement mesurable quand on travaille avec « l’humain », n’est
évoqué ni chez les médiateurs ni par leurs employeurs. Ceux-ci ne prévoient que
rarement de réunions visant à faire le bilan de leurs actions ou le point sur
leurs méthodes. Les médiateurs et leurs employeurs trouvent un nouveau point
d’ancrage commun dans le « monde inspiré » : les seconds
laissant libre cours à la créativité des premiers afin de concevoir les outils
dont ils devront disposer. La réalisation d’un idéal du « bon
médiateur », par le biais d’une formation au référentiel et aux
indications concrètes quant aux activités à développer (Barthélémy, 2009), est
un objectif substitué à celui d’avoir « réussi à décrocher » un
emploi qui participera à une requalification sociale au sein de la communauté
d’appartenance, pour les médiateurs, et à celui d’une tranquillisation des
populations des quartiers urbains et périphériques, pour leurs employeurs.
45La discussion des résultats se concentrera sur les
informations obtenues en référence à quatre catégories : identités,
postures, opinions et représentations.
46La première catégorie référencée fait montre d’une
diversité des identités et des assises culturelles, d’abord masquée par un code
vestimentaire affilié à l’univers des marques de la mode urbaine (streetwear),
image d’eux mêmes qui les représente sur la scène de leur quotidien. On
retrouve cette image dans les descriptions faites par certains employeurs de
leur public, dans l'informel des discussions. Ces derniers, se fondant
parfois sur ce qui leur apparaît à un premier niveau de visibilité, posturale,
langagière et vestimentaire, font une lecture en négatif (Charlot, 1999), voire
déficitaire des personnes recrutées. Considérant les médiateurs, les employeurs
se satisfont globalement d’approches généralisantes et peu fouillées, comme
celles relatives aux caractéristiques comportementales et
aspirationnelles : « espaces relationnels superficiels ou éclatés
(peu d’assises relationnelles fortes), difficultés à tenir un engagement
horaire et professionnel, bassesse de vue et imaginaires perclus… ou
débridés ». Prédominance du « monde de l’opinion » qui reste
prisonnier d'une représentation renvoyée par leurs employés, chez lesquels
« l’autorité se mesure par les centimètres de muscles, le charisme, la
hauteur, et un « look » fait de blancheur des (sur)vêtements,
casquettes retournées et baskets, voire tatouages et cicatrices ».
47La formation est un autre thème dégagé de l’analyse
des entretiens. Les données recueillies à ce propos apparaissent comme venant
encore renforcer cette forme d'illettrisme social. La formation interpelle les
stagiaires, entre autres, que sur une concrétude fragile ou à partir
d'approches pédagogiques infantilisantes (Galand, 2004). Elle ne semble pas
vraiment accompagner leur désir de construction professionnelle. Elle se
retrouve paralysée par l’obligation de satisfaire à des effets d’annonce sans
suite (comme les contrats emplois jeunes par exemple) et au manque de formation
spécialisée et professionnalisante, donc réellement qualifiante, à disposition.
Elle ne peut répondre à la demande d’insertion durable dans un processus de
professionnalisation et demeure peu mobilisatrice lorsque le métier entr’aperçu
ne présente pas les gages de la respectabilité et des reconnaissances
recherchées.
- 15 Henri Vieille-Grosjean, « Le feu, les pyromanes et les pompiers », Bruxelles : Contradictions, n°5(...)
48En outre, la diversité des parcours scolaires et des
histoires professionnelles indique une population moins démunie et fragile
qu’elle peut paraître à première vue. Si certains parcours scolaires sont peu
féconds, quelques-uns témoignent de formations spécialisées sur des métiers
dont on dit qu’ils sont « porteurs », voire d'études universitaires.
Mais, ce qui apparaît le plus souvent relève de la ténacité et de la conscience
partagée d’une responsabilité devant le travail (monde civique), pour
aider les parents, par exemple, ou faire vivre une nouvelle famille (monde
domestique). Ces différents constats ne peuvent qu'interpeller la
principale légitimité reconnue à ces jeunes qui sont pour la plupart recrutés
pour des qualités mesurées à l’aune de leur proximité sociale et
générationnelle avec leurs voisins « des quartiers »
(Vieille-Grosjean, 2004)15.
49Il semble en effet que pour les institutions
et collectivités qui font appel à eux leur présence et leur emploi
puissent se satisfaire d'une triple légitimité : fraternité, égalité,
liberté (monde civique et marchand). Une filiation référée à une parenté
partagée qui leur donne d’emblée accès à la fraternité. Une parité
générationnelle, contextuelle et culturelle avec les médiés qui leur permet la
reconnaissance de la proximité. Autre légitimité que les employeurs et les institutions
reconnaissent aux médiateurs sociaux, celle liée au genre, le masculin étant
repéré comme plus indépendant et donc plus efficace, en regard des conventions
relationnelles et culturelles supposées agissantes dans les espaces à occuper.
50Si nous allons plus avant dans cette logique, le
recrutement sur la base du genre représenterait une opportunité de faire
autorité, de se revaloriser. Cette opportunité serait à saisir pour des hommes
qui font face à la « crise de masculinité » qui les traverse (Kakpo,
2005). Cette crise étant liée au fait que le travail ne requiert plus autant de
force physique mais aussi à l’émancipation, par l’école et le travail, des
filles d’immigrés magrébins et au sentiment d’infériorité des garçons qui peut
en découler.
- 16 Nous retrouvons ici Sylvain Pasquier et Julien Rémy dans le lien qu'ils établissent entre identité(...)
51Cette triple légitimité va permettre la construction
d'un profil professionnel sur la base d'une autodidaxie expérientielle16.
Cette fabrication légitimaire mériterait d’être interrogée, en regard de ceux
qui ont imaginé ces nouvelles fonctions, et du point de vue de ceux qui les
assument :
- 17 Ne sommes nous pas ici reliés à d’autres images de la médiation, notamment celles, sacrificielles(...)
52- La formation se fonde en fait sur un constat
erroné. « Jeunes des quartiers », ils apparaissent comme liés, par
l’histoire et la géographie, à ceux qu’ils ont à encadrer ou à domestiquer (Foucault, 1984). Marqués physiquement par les traces
d’une « origine » étrangère, ne seraient-ils pas, entre stigmates et
postures, les pygmalions grâce auxquels pourraient se modifier les
comportements asociaux ou réactifs des individus et des groupes auxquels il
leur est donné mission de s'adresser ? Par les motivations qui les
guident, entre autres la croyance aux valeurs du monde civique, et dans une
moindre mesure, aux mondes marchand et industriel, cette contribution à la
normalisation des comportements pourrait-elle dépasser celle des manières
d’être pour toucher celles de la pensée ? Ne sont-ils pas en effet appelés
« les grands frères » par une commande sociale et médiatique qui, en
appelant au parangon, se dédouanerait du même coup d’un sérieux des réponses à
une demande de statut, de salaire et de formation ? La société ferait donc
appel à une sorte d’affectif de la République, qui serait invoqué chez ces
jeunes, pour qu’ils acceptent cette mission mal payée, considérant ainsi qu’en
jouant un rôle de réparateur du mal fait à la république par des gens qui leur
ressemblent, ils rachèteraient ainsi perturbations, malfaçons et malversations17.
53- La fabrication légitimaire évoquée plus haut
renvoie également à une double impertinence. Tout d'abord, une représentation
sociale d’identités tronquées et statufiées qui ne sont prises en considération
que dans la mesure où elles semblent appartenir à un collectif ethnique et
migratoire, «jeunes d’origine étrangère, 2èmegénération »
(Camilleri, 1985). De plus, ces médiateurs feraient l’objet d’un traitement
réservé à ceux dont on pense qu’après échec scolaire et chômage, il n’est
besoin, pour une insertion réussie, que d’un minima professionnel, et donc
d’une formation superficielle, initiale, mais non récurrente et non qualifiante
(Schwartz, 1996). On pourrait même apercevoir, à travers ce traitement, certaines
conséquences paradoxales d'une démarche compassionnelle qui s'accorde d'emblée
avec les appels victimaires au recours contre les discriminations.
54Il semble donc que les contextes qui nous occupent
échappent difficilement à un ostracisme qui a déjà, dans le passé, obéré les
carrières et les avenirs sur le marché de l’emploi classique (Schadron, 2006).
Les attitudes et représentations des employeurs des médiateurs, observées lors
de visites de demande d'effectuation de l'enquête et de notre recherche,
hésitent souvent entre la confiance obligée, qui s’appuie sur une ethnicisation
entendue comme atout se suffisant à lui-même (mais dont les conséquences
relèvent alors de l’enfermement), et le refus de tout engagement sérieux dans
l’ouverture d’une trajectoire professionnelle positive. Dans l’un et l’autre
cas, l'exercice de la médiation sociale fonde sa légitimité dans la réponse à
une urgence relationnelle ou organisationnelle, et non sur une approche des
espaces professionnels ouverts par de possibles nouveaux métiers (Joseph,
2008). Elle se donne à voir, et nous suivons ici ce
qu'écrit Didier Fassin, comme
s'apparentant à des métiers de la tranquillité publique, dont la formation qui
y prépare relèverait davantage d’une initiation à la communication ou à la
gestion des conflits et beaucoup moins d’une analyse des nouveaux enjeux de
l’intervention sociale et de la question de la citoyenneté (Fassin, 2004).
55En outre, les occupations auxquelles est destiné ce
public à la sortie de la formation renvoient généralement à investir des champs
d’intervention délaissés par les travailleurs sociaux traditionnels ou désertés
par l’action citoyenne (Ion, 2006). Il ne peut donc s'agir d’une possible
appropriation d’un espace métier déjà balisé mais de l'attente d'un fonctionnement
espéré, entre substitut et ersatz, dont le moins que l’on puisse en dire est
qu’il est encore mal connu des instituts de formation et des institutions
sociales. Ces quelques éléments d'analyse rejoignent la conclusion faite par
Daniela Gaddi (2004) dans sa synthèse critique des pratiques de médiation,
« dans les quartiers dits "difficiles", la médiation des
conflits court le risque de se transformer en un "dispositif social
panoptique" (Wacquant, 2000), à la façon d'un monitorage modifiant "doucement"
les comportements jugés dangereux, ou même seulement
"reprouvés" ».
- 18 Ex-manus-capare : sortir de la prise de main, s'affranchir (Alain Rey, Le robert éd. 2000)
- 19 Mani-pulare : prendre par la main (Alain Rey, Le robert éd.2000)
- 20 « L’introduction de la médiation était en soi un constat d’échec pour d’autres professions, ou du(...)
56La question de départ qui interrogeait le statut de
la médiation sociale et par là, de ses acteurs, « entre artéfacts et
instruments », peut alors être dépassée ou se reposer différemment. La
médiation sociale, apparue comme pratique informelle de réappropriation de la
communication sociale et d'émancipation18,
à distance des pratiques habituelles de sa gestion, s'est vue progressivement
prendre en main19 pour devenir « le bras tendu » des
politiques de proximité. Une fonction d'outil, vite instrumentalisée, et qui
n'a pu s'exercer dans l'accompagnement vers l'autonomie, attendue qu'elle
était, comme intervention sociale professionnelle, et empêchée souvent de
s'exprimer, par les contextes auxquels elle s'affrontait20:
contextes réducteurs de l'employeur qui ne demandait qu'un service de
régulation des conflits de voisinage et contextes éclatés de situations
complexes à gérer.
57Ont été présentés ici quelques éléments se référant
aux deux espaces occupés par ce travail, dans sa dimension méthodologique et
dans le questionnement épistémologique qu’il prétendait introduire. Ces
résultats démontrent que notre hypothèse était polarisée sur les attentes non
tenues de la part des gestionnaires politiques de la médiation face à un défaut
de formation professionnalisante du médiateur et face à des critères de
recrutement se limitant à l’aisance orale, la sociabilité, le passé scolaire et
la proximité culturelle. Si cette hypothèse est partiellement confirmée, les
résultats nous renvoient un écho inattendu : les médiateurs considèrent en
effet cet emploi comme l’occasion de « sortir d’une impasse » ou d’une
situation d’urgence, contrainte qui laisse à distance la notion de choix face à
la pénurie d’emploi. Cet emploi, de par son aspect temporaire et non évolutif,
influence les préoccupations des médiateurs, qui se tournent vers la recherche
d’une situation plus sécurisée.
58Dans le cas présent, on peut comprendre que les
nouveaux acteurs soient attachés à une reconnaissance leur permettant
d'intégrer un contexte professionnel, même s'il ne leur est laissé d'autre
choix que de servir une cause sociétale dont ils ne mesurent pas forcément les
enjeux. Cette reconnaissance leur permettrait de prendre leur place dans
l'espace du travail social, dont ils sont à présent un des acteurs, même si les
lieux professionnels occupés sont ceux de la substitution et pas encore ceux de
la complémentarité. Il s'agit alors d'interroger le processus institutionnel
qui légitime en boucle, selon un cheminement singulier - repérage de
candidats médiateurs, formation, affectation sur le terrain -, la
chosification d'un phénomène social qui s'apparente plutôt à un exercice de
maîtrise des crises sociales. Ce processus peut même aboutir ainsi à l'inverse
de ce qu'il est supposé investir, pour laisser place, dans les formes
compassionnelles qu'il développe parfois, à des formes prégnantes de victimisation
(Thomas, 1997). Il n'est en effet pas encore fait appel à ce qui pourrait être
une professionnalisation vers un nouveau métier par une sécurisation des
parcours (Bartoli, 2007), et une réglementation publique inhérente à leur
mission. Une entrée dans la formation et la validation professionnelle par la
VAE (Validation des Acquis d'Expérience) par exemple permettrait qu'au-delà de
globalisations identitaires une prise en compte des expériences sociales
et professionnelles installe une nouvelle visibilité des parcours et légitime
la pertinence des proximités et la continuité des trajectoires.
59Sur le plan éthique, on pourrait admettre qu’une
société progressiste mais pragmatique soit consciente du besoin de médiation
pour corriger les effets négatifs d’un système qu’elle ne maîtrise pas
complètement, mais également attendre qu’elle ait, dans le même temps, le
projet d’annihiler les inégalités afin de ne pas pérenniser l’accompagnement de
la misère. Institutionnaliser la médiation sociale, c’est éthiquement et
politiquement affirmer qu’il n’y aura pas de changement.
60Il s'agirait alors de penser à partir d’autres
exigences, qui renverraient à prendre en compte dans l’acte-processus de
déconstruction-réparation des conflits et du bien être collectif et individuel,
les compétences déjà présentes, et de se saisir de ce qui est communément
utilisé aujourd’hui comme espace de reconnaissance et de facilitation dans
l'accès à la qualification.
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Notes
1 Nous postulons que cette intention est
toujours actuelle, bien que les interprétations des crises ou des actes
d'incivilité diffèrent selon les gouvernements (pour les uns, perçus comme le
reflet d’un « malaise social », pour les autres, réduits à
l’expression d’une « violence gratuite »). Si le métier de médiateur
est maintenu d'un gouvernement à l'autre, sa place et la nature des missions
conférées et les enjeux gravitant dans cet espace, diffèrent sensiblement. Leur
étude donne à penser et saisir la place et peut-être la prédominance de la
dimension sécuritaire sur la dimension préventive et relationnelle (selon le
tryptique décrit par Ben Mrad Fathi, « La médiation sociale : entre
résolution des conflits et sécurisation urbaine », Revue Française des
Affaires sociales, 2004/ 3 n°3, p.231-248).
2 Premières mises en place de programmes
spécifiques au développement urbain : 1977, lancement du programme «
habitat et vie sociale » : opérations d'amélioration du logement et des
services collectifs (HVS) ;1981, lancement de la politique de
« développement social des quartiers » (DSQ) ;1983, Création de
la mission « Banlieue 89 » ; 1988, Lancement de la politique de
« développement social urbain » (DSU).
3 « La médiation sociale (comme
métiers de la présence sociale) a pris son essor grâce à la conjugaison de
mesures gouvernementales émanant de la politique de l'emploi et de la ville.
Fin 1997 (Lois n°17-940 du 16 octobre 1997), le gouvernement français met en
place un dispositif de lutte contre le chômage des jeunes. Ce programme visait
à créer 350 000 contrats aidés d'une durée de 5 ans intitulés « emplois
jeunes » ; la politique de la Ville, quant à elle, met en place des
contrats locaux de sécurité en 1997, cadre dans lequel de nombreux emplois
jeunes spécialisés dans la médiation sociale ont été créés. Lorsque ces
contrats sont arrivés à terme, s'est posée la question de la
professionnalisation de ces emplois de médiateurs sociaux »(Gwenaëlle
Hainaux, Pauline Longin, Agathe Teboul, « La professionnalisation et l'institutionnalisation des
fonctions de médiation », note de synthèse, CNAM,
INTD, 2009, p. 4-5).
4 Cf. un des premiers dispositifs mis en
place en 1994 sous le slogan des « Grands-Frères », à Gagny en Seine
Saint-Denis.
5 « Première chambre syndicale
réunissant des professionnels en activité et exerçant avec rigueur la
médiation » (Statuts 8/12/ 2001). En 2008, la CPMN a adopté une forme
statutaire d'ONG, pour intégrer le développement à l'international.
6 Dans leur analyse critique de la
philosophie politique, Luc Boltanski et Laurent Thévenot s’intéressent à la
manière dont les membres d’une société dépassent les conflits, recherchent et
construisent, autour de principes supérieurs communs, des formes de compromis
ou d’accord de vivre-ensemble. Confrontés à des situations d’indécision, de
rapport de force, de conflit, et/ou de controverse (que les auteurs nomment
« épreuves »), les individus cherchent à rationnaliser et/ou
justifier leurs actions. Portant l’attention sur la nature des « logiques
de justification » revendiquées lors de ces « épreuves », les
auteurs identifient les grands « principes supérieurs communs »,
auxquels se réfèrent les individus, sur lesquels repose leur argumentation et
qui caractérisent (avec d’autres éléments comme l’état de grand et de petit,
etc.) une « cité ». Une « cité » est donc une logique
argumentative, qui se réfère à une conception particulière et idéale du
« bien commun ». Lorsque les individus mettent en pratique ces
principes par le biais d’objets et de dispositifs, Luc Boltanski et Laurent
Thévenot utilisent le concept de « monde ». Les auteurs ont ainsi
défini une typologie composée de six « mondes » différents constitués
chacun par une cité idéale (civique, domestique, industrielle, inspirée, de
l’opinion, marchande). Ni la logique argumentative (cité) ni la logique
d’action (monde) ne sont exclusives : en effet, au gré des circonstances,
les individus peuvent être amenés à naviguer entre différentes « cités »
en mettant en avant d’autres / de nombreux arguments et à appartenir à
plusieurs « mondes » ou en changer.
7 Au regard des recherches menées en 1984,
par l’historien Gérard Noiriel, démontrant le racisme qui sévissait envers
« l’ouvrier étranger » en 1901, le caractère « nouveau » de
ce racisme ne réside pas dans l’époque mais dans sa nature. En France, le
silence de la science sur le lien entre ethnicité et éducation, que Jean- Paul
Payet explique par une « censure idéologique » et un « impensé
de la genèse coloniale » (Payet, 1992, p.60), rend difficile la lutte
contre l’essentialisation des différences. Cette dernière s’accompagne d’un lot
d’idées reçues qui associent échec scolaire, déviance et immigration ou
imputent à un défaut d’adaptation aux normes culturelles la situation précaire
dans lesquels les individus sont plongés. La quasi-absence sur le lien ténu
entre les discriminations sociales et les discriminations ethniques est propre
à la France, pays où le principe fondateur d’égalité ontologique entre les
individus empêche la différenciation, finalement la reconnaissance de la
différence et de certaines discriminations. Ce processus de stratification
sociale, qui voit les victimes de discrimination ethnique être ceux qui
subissent la discrimination économique, est assumé par les pays anglo-saxons,
et justifie l’adoption de mesures de discrimination positive envers ces
populations qualifiées de « minorités visibles ».
8 Effet (lat. factum) artificiel (lat. ars,
artis). Le terme « artéfact » désigne à l'origine un phénomène créé
de toute pièce, ou généré de manière aléatoire (Encyclopédie
scientifique : techno-sciences.net)
9 Julien Rémy, Sylvain Pasquier,
« Être soi peut-il être professionnel ? Le cas des médiateurs
sociaux. », Revue du MAUSS permanente, 19 février 2008 [en ligne].
10 « J’appelle dispositif tout ce qui a,
d’une manière ou d’une autre, la capacité de capturer, d’orienter, de
déterminer, d’intercepter, de modeler, de contrôler et d’assurer les gestes,
les conduites, les opinions et les discours des êtres vivants », Giorgio
Agamben, Qu’est-ce qu’un dispositif ?, trad. Martin Rueff, Paris, Payot et
Rivages, 2007, p. 31.
11 « Le dispositif, donc, est toujours
inscrit dans un jeu de pouvoir, mais toujours lié aussi à une ou à des bornes
de savoir, qui en naissent, mais tout autant, le conditionnent. C’est ça le
dispositif : des stratégies de rapports de force supportant des types de
savoir, et supportés par eux. », Michel Foucalt, Dits et écrits, volume
III, p. 299.
12 H pour homme. F pour femme. ESD pour
entretien semi-directif. FG pour focus group. Premier nombre pour le numéro de
l’entretien retranscrit et le dernier nombre indique l’âge de la personne dont
les propos sont rapportés ou analysés.
14 Quandles médiateurs [H-FG- 11- 15- 34-
47- 48-…] considèrent que la considération fait défaut dans leur métier, dit
autrement, que la grandeur et la noblesse des actions menées en individuel ou
en groupe sont dévalorisées.
15 Henri Vieille-Grosjean, « Le feu,
les pyromanes et les pompiers », Bruxelles : Contradictions,
n°5, 2004, p.119-137. Cette récurrence n’est pas sans nous rappeler le
phénotype dressé par Pascal Hug sur les agents de sécurité. Cf. Pascal Hug,
« Les agents de sécurité privée noirs : un exemple de discrimination
dans le monde de la sécurité », in Les Cahiers de la sécurité
intérieure, 2e trimestre 2000, p. 93-117.
16 Nous retrouvons ici Sylvain Pasquier et
Julien Rémy dans le lien qu'ils établissent entre identité personnelle et
identité professionnelle, la première prédéterminant la seconde (Sylvain
Pasquier et Julien Rémy, op.cit.). Par autodidaxie expérientielle, que
nous distinguons de l’autodidaxie pragmatique définie supra, nous
entendons une autoformation qui ne se limite pas à la réflexion menée ni à
l’intuition utilisée dans une situation donnée, mais liée directement à
l’expérience singulière de chaque individu, y compris celle des discriminations
subies, des amalgames dont l’identité peut faire l’objet et de l’importance
donnée à son individualité (identité et personnalité) qui tendent à faire de
lui un « idéal-type » de la profession.
17 Ne sommes nous pas ici reliés à d’autres
images de la médiation, notamment celles, sacrificielles et sublimées,
développées sur le thème du rachat par certaines religions ?
18 Ex-manus-capare : sortir de la prise
de main, s'affranchir (Alain Rey, Le robert éd. 2000)
19 Mani-pulare : prendre par la main
(Alain Rey, Le robert éd.2000)
20 « L’introduction de la médiation
était en soi un constat d’échec pour d’autres professions, ou du moins une
forte remise en question de leur action", policiers, travailleurs sociaux,
chauffeurs de bus, concierges d'immeubles ». Par ailleurs leur présence au
service de l'ordre était interprétée souvent par leur « clientèle »
comme un abandon voire une trahison. Cf. Nicolas Chantrenne et Emmanuel Moreau, « Les emplois-jeunes dans
la médiation sociale : une manne sous-exploitée ? », Les
annales des mines n°29, 2004.
Pour citer cet article
Référence électronique
Henri Vieille-Grosjean et Rachel Solomon Tsehay , « Les médiateurs
sociaux : limites et enjeux d'un dispositif », Sociétés et jeunesses
en difficulté [En ligne], n°12 | Automne 2011, mis en ligne le 20
décembre 2012, Consulté le 15 janvier 2014. URL :
http://sejed.revues.org/7320
Auteurs
Rachel Solomon Tsehaye est docteure en sciences de
l’éducation, chercheure à l’Institut de recherche en éducation (IREDU-CNRS),
enseignante en master I et II, Enseignement premier et second degré (IUFM et
Université de Bourgogne). Ses recherches, relevant des champs de la sociologie
(de l’éducation et du développement) et de l’anthropologie (culturelle et
sociale), ont impliqué des enquêtes de terrain sur le long terme en Afrique
sub-saharienne. Après s’être intéressée aux différentes formes de l’éducation
et aux choix auxquels ils soumettent les membres de la société civile, la
chercheure focalise son attention sur le processus de professionnalisation,
aussi bien des enseignants que des travailleurs sociaux.
Henri Vieille-Grosjean est professeur d’anthropologie
à la faculté des sciences de l’éducation et chercheur au Laboratoire
interuniversitaire des sciences de l’éducation, de l’information et de la
communication (LISEC). Université de Strasbourg. Dans sa carrière, il s’est
concentré sur deux axes de recherche qui questionnent le processus
d'apprentissage dans sa relation à l'identité des individus et des collectifs,
dans les deux contextes de son actuation. Le premier contexte renvoie à
l'espace normatif, occupé par un enseignement dont les prétentions à la
pédagogie s'effritent dans leur rencontre avec les artéfacts mystagogiques. Le
deuxième contexte, plus informel, intéresse les expériences éducatives et
formatives du quotidien, comme l'école de la rue en Afrique par exemple.
Droits d'auteur
© Tous droits réservés
Référence électronique
Henri Vieille-Grosjean et Rachel Solomon Tsehaye, « Les
médiateurs sociaux : limites et enjeux d'un dispositif », Sociétés
et jeunesses en difficulté [En ligne], n°12 | Automne 2011,
mis en ligne le 20 décembre 2012, consulté le 21 juillet 2014. URL :
http://sejed.revues.org/7320
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