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« Dix jours sans écrans » : L’impact d’un défi



OH Là Là! dire que ce beau texte n'a jamais été publié!
 
Résumé
Cette recherche interroge les effets d’une pratique collective initiée par deux écoles élémentaires françaises : "10 jours sans écrans". Un questionnement de recherche ainsi qu’un cadre théorique et conceptuel font l’objet d’une première partie. Ensuite, est présentée une revue des premières recherches concernant l’influence des médias sur les comportements des jeunes enfants, autant dans les relations familiales que scolaires. La troisième partie de ce travail s’organise à partir de l’objectif de recherche, d’une hypothèse puis d’une une enquête réalisée auprès de jeunes enfants, cibles et acteurs du défi  proposé. Cet article s’achève par la présentation des résultats obtenus, leur discussion et une mise en perspective.

Mots clés : agressivité des jeunes enfants, écrans, relations familiales, dépendance aux médias

1. Questionnement de recherche

Les écrans ont aujourd’hui pris une place incontournable dans notre société. La quasi-totalité (58 377 000) des personnes résidantes en France a accès à un écran de télévision[1], et 2 individus sur 3 sont aujourd’hui connectés à Internet[2]. Ce phénomène concerne à priori toutes les classes d’âge ; il a en particulier une incidence sur la relation entretenue avec les médias par les enfants et les adolescents. Ainsi, selon une enquête récente sur les jeunes et les jeux virtuels[3], 99% des jeunes entre 12 et 17 ans se déclarent joueurs, que ce soit sur ordinateur ou sur console. 83% "pratiquent" au moins une fois par semaine et près de la moitié (42%) au moins une fois par jour. Garçons et filles sont ainsi concernés, même si ces dernières y consacrent moins de temps (43% y jouent souvent contre 85% pour les garçons).
Ce phénomène n’est pas uniquement hexagonal, comme le montre l’étude menée pour l’Unesco par Jo Groeber[4] et relayée par Dany-Robert Dufour, qui montre que les enfants du monde occidental passent en moyenne trois heures par jour devant le petit écran. Ce temps  représente une fois et demie celui consacré à toute autre activité quotidienne, y compris les devoirs, la famille, les amis ou la lecture : "Ce chiffre, déjà considérable, n’est pourtant qu’une moyenne : près d’un tiers des enfants regardent la télévision quatre heures par jour ou plus"[5]. Autre pratique, l'investissement dans un monde ludique, pensé et créé par des intelligences et des didactiques qui semblent assez éloignées de celles de l'école. Il s'agit en effet de mettre à disposition de différents publics des espaces de jeux qui tiennent compte des nouvelles données contextuelles de la société urbaine, occupation de l'espace et du temps, transférabilité des rôles sociaux (artefacts et avatars) et mobilisation sur des stratégies d'occupation et de défense de territoires.
Cette exposition aux écrans et aux médias en général n’est pas sans conséquences. Outre le fait que ces moments de détente ne sont consacrés à aucune autre activité, ce phénomène engendre des effets décelables sur les habitudes relationnelles, tant familiales que sociales.
Qui plus est, le phénomène "écran, jeux et jeux de rôles" est aujourd'hui si répandu qu'il touche tous les âges, de l'enfance à la maturité, et l'ensemble des catégories sociales. En ce qui concerne la présente recherche, ce phénomène est approché uniquement dans son aspect relatif à l’enfance et à la prime adolescence (6-14ans) : Il semble que nous assistions dans ce contexte précis à autre chose qu'à un changement de la relation à la socialisation et à la fuite de ses formes prescriptives, qu'elles soient scolaires ou familiales :
-          Premier constat, la jeunesse extrême des pratiquants  dont certains sortent à peine de la première enfance. Entre gavage aux images projetées et imposées par l'écran, et hallucination, ils sont entrainés dans une relation de dépendance qui ne tolère aucun espace vacant. En effet, même si ces pratiques sont parfois interprétées comme pouvant relever d’un apprentissage et de ses bénéfices, ne leur manque –t-il pas ce qui peut être considérée comme premières conditions de l'apprendre : la prise d'une distance et l'impossible évitement de la négociation[6], nécessaires à tout processus d’apprivoisement, d’appropriation, et donc d'apprentissage?
-          On peut d'autre part interroger le rapport au temps qui va se structurer de façon toute différente dans l'exercice ludique, d'une part dans l'immédiateté de la réaction à des stimuli, et d'autre part dans une progressivité de la performance qui se fonde sur une logique accumulative behavioriste uniquement centrée sur l'avancée par essai/erreur. En première analyse, les pratiques liées aux programmes virtuels ludiques se concrétisent dans des contextes plus ouverts et plus adaptés aux apprentissages que celles développées à l'école : Essayer, faire ce que l’on ne peut faire ailleurs, ou du moins que l’on ne croit pas pouvoir faire ailleurs, se tromper et recommencer, sans autres conséquences que le retour au passage obligé. N’est-ce pas ainsi que l’enfant apprend ? Utiliser des chemins différents pour accéder au même lieu, c’est ce que rend possible le jeu…pas forcément l’école. Mais alors, peut-on appeler apprentissage une progression opérée sans le regard des pairs, et la sanction de l'accompagnateur-guide autorisé ? Que dire de cette absence d'évaluation externe et de socialisation, et quelle pertinence attendre d’un processus d'apprentissage qui ne se construirait que dans une dépendance à un seul objet?
-          En outre, l'agressivité remarquée dans les postures et les comportements adolescents peut avoir d'autres explications que celles que lui donnent habituellement les analyses et les expertises. Elle ne renvoie pas uniquement à des rêves impossibles, des envies inassouvies ou des pulsions incontrôlées, et dont la fréquentation de l'espace virtuel renforcerait la prégnance. Elle n'est donc pas simplement le résultat d'un manque auquel on répondrait pour le satisfaire par ses propres moyens, les moins négociés, de par l’impossibilité de se les représenter autrement et de faire part de ses inquiétudes, de son ignorance ou de son désaccord d'une autre manière. Ne peut-on donc pas la regarder, cette agressivité, comme le résultat d'une aliénation enfermante ou handicapante qui ne peut laisser place à la construction du "je", et la réponse à une nécessité, celle de se débarrasser d'un « trop plein » dans lequel n'est laissée aucune place au vide, à l'absence, c'est-à-dire au désir ?  Les jeux et les pratiques relationnelles virtuelles  deviendraient alors moteurs et raisons d'un défoulement, irrespectueux des normes et des valeurs, ou des convenances, tout en nourrissant jusqu'à l'excès et l'indigestion, à chaque instant et dans chaque espace  mobilisable, des individus tétanisés dans la concentration jusqu'à l'envoutement ?
-          Autre conséquence, l'inappétence scolaire et la difficulté de "s'y mettre". A l'opposé, le virtuel devient alors physiquement plus abordable parce qu'il ne nécessite qu'une technique de base (mouvements des doigts), s'adapte à tous les lieux et tous les temps et ne demande que peu d'engagement dans une recherche de sens (cognitif). En outre, l'absence de cette relation non distancée avec les jeux va entrainer à son tour un manque, révélateur d’une addiction qui ne pourra être dépassée sans que soient proposées d'autres formes d'activité suscitant l'intérêt et la curiosité ou rentrant dans un système de contraintes et d'obligations.
Cet article se propose de questionner ces pratiques et d'en expliciter si ce n'est le sens, au moins certaines modifications du processus socialisateur qu'elles entrainent : relations au sein de l'entourage et liaison addictive aux écrans. Seront tout d’abord convoqués les principaux travaux s’étant intéressés à la thématique. Il sera ensuite procédé à une première expérimentation des conséquences de la privation des écrans (télé, jeux vidéo, ordinateur) auprès d'une population scolaire. Cette approche se faisant sous la forme d'un défi.

2. Cadre théorique et références conceptuelles
 
Les références  théoriques et conceptuelles seront abordées à travers la reprise des différents travaux de recherche s’étant intéressés à l’axe : socialité – violence/agressivité – écrans/jeux.

2.1.  Socialisation des jeunes : facteurs et indices

La socialisation désigne le processus par lequel les individus s’approprient les valeurs et les normes qui régissent le fonctionnement de la vie en société. Autrement dit, se socialiser renvoie d’abord à apprendre, reproduire et intérioriser les modes et contenus culturels faisant partie des habitus comportementaux et aspirationnels de la société d’appartenance. Progressivement, l’individu se construit une personnalité sociale c’est-à-dire qu’il s’adapte à la multiplicité des formes et contenus de coexistence qui lui sont présentées comme relevant normalement de son quotidien (à la maison, à l'école, dans l'entreprise, dans ses loisirs,...) pendant la petite enfance et tout au long de la vie, en assimilant les normes et valeurs de cette même société.
Se pose alors la question des facteurs agissant sur le développement de la socialisation dès le plus jeune âge et jusqu’à la maturité. Deux lieux traditionnels interagissent sur la socialisation: la famille, facteur essentiel de la socialisation primaire des enfants, dans les diverses et multiples interactions avec leurs parents ou encore entre frères et sœurs. Autre lieu de socialisation, secondaire celui-là, l’école (Durkheim 1938), dont le rôle est majoré par le taux élevé de scolarisation. Cette institution prend en charge l’acquisition des normes et des valeurs de la société, à travers l'accès proposé aux héritages, histoires et géographies investis par le collectif d'appartenance.
Par ailleurs, depuis les années 80, le développement des technologies a amené à considérer les médias comme une autre source potentielle de socialisation, tant au niveau microsocial que macrosocial et des avis partagés se sont fait entendre depuis déjà une trentaine d’année, quant à l’impact des petits écrans sur la communication sociale. Nous retiendrons ces premiers avis,  comme   initiateurs des apports suivants, qui participent de trois visions fondamentales qui n’ont fait que se répéter jusqu’à aujourd’hui. Les premiers, renvoient à considèrent que l’usage domestique important de la télévision est un facteur de détérioration de la communication intrafamiliale (Lull, 1988). A contrario, les résultats d’autres études montrent que cet usage est perçu comme une ressource sociale et symbolique pour la création ou le maintien des relations familiales (Morley, 1986). Il semble pour d’autres enfin qu’il soit pertinent de considérer la télévision comme une instance significative de médiation qui agit dans la dynamique interpersonnelle de changements d’opinions ou d’adhésion à de nouvelles valeurs (Proulx et Laberge 1995).

2. 2 Agressivité : rapports à soi-même et rapports sociaux

L'agressivité, expression pulsionnelle et/ou mobilisation intentionnelle, est habituellement présentée comme la manifestation la plus commune d'une tendance à nuire à autrui, que ce soit de façon réelle, imaginaire ou symbolique[7]. Freud[8] définit l'espace psychique occupé par les individus en se servant de deux fondamentaux qui en déterminent selon lui les modalités et les fonctions. Eros d'une part, qui renverrait aux pulsions de vie, et donc à la conservation de l'espèce, et Thanatos qui permet la structuration identitaire grâce à l'éviction du territoire personnel à construire de tout ce qui peut ou semble le mettre en danger. Sartre reprend la même posture quand il invoque l'enfer chez les autres[9], et perçoit comme fondement de toute relation, l'exclusion de toute altérité.  D'autres pensées donnent à l'agressivité une autre fonction, celle d'être une violence fondatrice (Girard[10], Konrad Lorenz[11]) permettant le dépassement des inhibitions et des peurs, et l'engagement dans un processus de découverte et d'apprentissage. Le rapport à soi et aux autres est donc vu très différemment selon les épistémologies et les philosophies. Nous n'entrerons pas dans le détail de ces perceptions, mais il semble décisif pour la suite de notre propos de le situer dans une complexité conceptuelle dont nous retrouverons certains éléments dans les recensions faites des points de vue des chercheurs sur les pratiques de consommation des jeux vidéos.

2.3 Les médias au quotidien

Les enjeux face aux médias et à leur compréhension concernent les ensembles sociétaux à différentes échelles ont été largement questionnés par la recherche notamment en ce qui concerne la socialisation des plus jeunes. Ainsi, l’effet de la télévision sur le développement moral des jeunes enfants a fait l’objet de nombreuses études. Marina Krcmar et ses collègues (Krcmar et Valkenberg, 1999 ; Krcmar et Vieira, 2005) se sont intéressés à l’influence de programmes violents sur le raisonnement moral des jeunes enfants (6/ 12 ans). Il résulte de ces recherches que les plus jeunes, férus de programmes animés par des super-héros, considéraient l’agression justifiée et donc moralement correcte. En revanche, pour les enfants de plus de 10 ans, le raisonnement moral devient plus flexible, et autrement orienté (Wilson, 2008). Ce modèle est compatible avec la perception des très jeunes enfants, leur tendance à se focaliser sur des repères visuels et auditifs, plutôt que sur des informations conceptuelles. Ces constats amèneraient à penser que le face à face télévisuel et ludique avec la violence, peut freiner le développement moral des enfants. Pourtant, il se peut aussi que les enfants soient attirés par les programmes violents, dans la mesure où les histoires dans leur simplicité basique présentent l’agression comme un phénomène auto justifié et rarement puni.
Patricia Greenfeld[12] va en ce sens  présenter « les médias, en général, et les ordinateurs, en particulier  comme des instruments culturels puissants et actifs "au cours des années de maturation de l’enfance, à l’âge du développement de la socialisation". Quant aux citoyens confrontées dès leur plus jeune âge à ces médias : "l’effet sur la génération à venir sera celui d’une organisation sociale à l’échelle des masses…avec des personnes dont les capacités visuelles seront plus importantes et des aptitudes particulières à découvrir des règles et des combinaisons", grâce à la méthode active d’essais et d’erreurs. Ainsi, la société de demain devrait être très fortement influencée par cet environnement investi par les écrans avec notamment des possibilités nouvelles quand à la résolution de certains problèmes, mais aussi une certaine dépendance aux médias, très risquée pour les autonomies comportementales et de jugement. Cette influence dépasserait donc le simple cadre de l'habitus culturel pour faire naître un type d’hommes nouveaux, dépendants de réactions suscitées et organisées par une surexposition aux écrans.
D'autres chercheurs analysent cette tendance comme se ressentant également dans la famille, lieu de socialisation premier de l’enfant, et principale pourvoyeuse de médias. L'’étude de Marie-France Laberge et de Serge Proulx[13] décrit la conjugaison famille-média comme un des facteurs importants de socialisation de l’enfant, facteur " synthétisé par le jeune", et qui va conditionner son développement psychosocial avec tous les risques que cette association de valeurs comporte.

2.4 Agressivité et écrans

Les résultats de l’enquête menée par Williams[14](1986) annoncent une corrélation entre l'apparition de la télévision dans un contexte rural et le délitement relationnel. Les chercheurs ont observé un groupe d’enfants n’ayant pas la télévision et présentant un faible degré de violence, et constatent une augmentation significative de l'agressivité deux ans après l’introduction de ce média au sein du village.
D'autre part, dans son recueil sur les résultats et les tendances de la recherche sur ce sujet, Solange Daecneck[15] va, en 1998, présenter les différentes avancées en la matière. Elle mentionne le rapport officiel "The Surgeon General report" sur la violence des jeunes qui conclut qu’il existe "une relation entre la violence télévisée et l’agressivité des jeunes téléspectateurs, mais il s’agirait d’enfants prédisposés à la violence". La télévision ne semble pas être la cause première de la violence des jeunes, mais elle en serait bien plus un élément déclencheur chez des sujets présentant déjà un quelconque rapport privilégié avec ce phénomène. Toujours citée par Daecneck, une étude de Freedman[16], va mettre à mal ces résultats en affirmant qu’il n’existe aucun lien direct et scientifiquement prouvé entre une "exposition à la violence télévisuelle et le développement d’un comportement agressif".
Dans une approche différente, Huesman et Eron[17], mettent en avant le fait que ce sont les enfants les plus agressifs qui sont attirés par la violence à la télévision. Solange Daecneck va également présenter les recherches de Gerbner qui confirment chez les sujets les plus exposés à la violence télévisée une « vision du monde réel plus dangereuse qu’elle ne l’est en réalité ».Enfin, à l’opposé des postures précédentes, Fischbach et Singer ou encore Wells au début des années 1990, ont montré que le facteur d’exemplarité dépendait de la proximité contextuelle avec le milieu ambiant, « des programmes de télévision peu violents incitaient plus à la violence que des programmes très violents ».

2.5 Apprentissage et médias

Autre axe thématique, la relation entre médias et apprentissages. La question intéresse la recherche depuis une trentaine d'années, période pendant laquelle a été constatée une généralisation des accès privés à internet. De nombreux travaux datent des années 1980 comme ceux de Williams ou encore Haertel mais aussi des années 1990 comme la recherche de Susan B. Neumann[18] sur la lecture aux Etats-Unis et son évolution depuis l’apparition de la télévision. La chercheuse propose la télévision comme un moyen d’apprendre à lire, avec notamment les titres ou sous-titres ou encore les nombreux passages de texte au début et à chaque fin de film mais elle expose aussi le fait que la télévision peut être, à un moment où à un autre, un « substitut » à d’autres activités de l’enfant, y compris la lecture d’un livre. Reste alors à définir la valeur reconnue aux titres et aux sous-titres par chaque téléspectateur, et le degré de compréhension et d’attention accordé au message.
Plus récemment, Maguy Chaillet[19] a abordé en 1995 la problématique de la relation télévision/école : degré d'importance et contenus d'apprentissage. L’auteure montre que ce qui est appris par les élèves derrière les écrans de télévision n’est pas transféré comme étant un apprentissage réutilisable à l’école, et inversement. Ainsi, les enfants ne seraient pas capables de transférer les contenus appris devant leur poste et donc de les intégrer une fois en dehors du cadre télévisuel. L’effort pour améliorer le transfert de ces informations issues des images doit donc être réalisé au sein même de la famille, principal lieu de rencontre entre les cerveaux juvéniles et les programmes télévisés. A la même époque, Geneviève Jacquinot[20] parlait de la télévision comme d’un « terminal cognitif, objet de connaissance » agissant comme objet de médiation entre les hommes et leur rapport au savoir, au sens défini par Bernard Charlot. François Mariet[21], quant à lui, replaçait le lien école et télévision au cœur même du rapport au savoir des élèves: "c’est l’école qui rend la télévision éducative". Et c’est donc elle qui lui retire de sa substance lorsqu’elle ne l’intègre pas suffisamment à ses programmes, à ses environnements.
Au niveau familial, la télévision se révèle être un triple facteur d’interaction, comme tend à le démontrer Sylvie Octobre en 2003[22]. Elle permet le  partage, lorsque les parents regardent la télévision avec leurs enfants, elle amène à l’échange quand est discuté le programme à regarder, et enfin elle est source d’interdits,  par le contrôle effectué par ces mêmes parents sur la fréquence d’exposition ou le contenu. D’autres recherches ont appuyé cette notion du « partage » comme élément de socialisation, et notamment l’article de Régine Sirota[23] qui rapproche l’écran partagé en famille du rituel du gâteau d’anniversaire comme permettant "à l’enfant de prendre place dans une longue chaîne qui entérine à la fois le maillon qui est en train de se forger et la perpétuation d’un lien social en construction permanente ".
Après la télévision, il semble nécessaire de questionner l'utilisation d’internet. Source et ressource, ce phénomène de la toile, du World Wide Web, a pris en effet une place prépondérante dans la société depuis 15 ans, et son influence sur les comportements et l'accès aux informations fait l'objet d'appréciations très diverses et contradictoires. D’après Isabelle Breda[24] : "L’image que les jeunes se font d’Internet semble étroitement liée aux discours sociaux véhiculés par les médias, les parents et les pairs : d’abord un moment de détente" et pour une grande majorité un média où l’information est "fiable, autant que dans les autres médias". Ceci étant, l’information recherchée n'est pas toujours disponible, et demande un savoir faire qui relève parfois d'une grande complexité. On assiste alors, toujours selon cette auteure, à une multiplication des trajectoires empruntées par chaque jeune dans son utilisation d’internet au fur et à mesure qu’il en maîtrise les subtilités et peut se jouer de la multiplication des sources d’informations. Cette approche renvoie à un double constat : il semble exister un consensus sur l'existence de certains lieux informatifs, en situation de monopole, et un accès modulé et différencié à des informations  ne revêtant ni le même contenu, ni la même teneur pour tous. Se pose alors la question des apprentissages et indirectement de la scolarité de ces jeunes confrontés aux médias.


2.6  Synthèse 
 
Si la plupart des recherches réalisées dans les années de démocratisation de la télévision, interpellent ce média comme potentiellement dangereux, voire canal d’émergence ou de facilitation de la violence, pour d’autres, plus tardives, la télévision semble être un élément éducatif possible dans le développement de l’enfant grâce aux différentes interactions qu’elle suscite et qui vont permettre d’amener un cadre, des règles mais aussi des rapports entre enfants et parents. Il serait même possible pour une troisième école, d’imaginer la télévision comme outil d’éducation pertinent tant son importance est quotidienne au sein même des foyers, bien plus que ne l’est le contenu des cours à l’école ou encore les devoir effectués à la maison. De plus, la télévision n’expliquerait pas à elle seule la violence des enfants et rien ne confirmerait le fait qu’une exposition à une violence récurrente devant les postes télévisés amène l’enfant à reproduire plus facilement cette violence. Ces recherches ont en commun un intérêt, mais aussi une faiblesse, eu égard à la scientificité dont elles se réclament : elles sont datées, appartiennent à une époque, et dépendent des contextes qui les autorisent et vont orienter leurs analyses et leurs conclusions….En outre, menées pendant les deux décennies 1980 et 1990, elles ne prennent pas en compte les nouveaux médias, tels que Internet, mais aussi et surtout les jeux-vidéos.
Par contre, la question posée il y a 20 ou 30 an, et qui interrogeait la relation agressivité et médias, perdure, puisque ce qui semble attirer aujourd’hui les consommateurs de médias, ce sont les jeux violents et non pas les jeux de sports ou ceux dits éducatifs. On retrouve notamment à la troisième place des jeux-vidéos vendus en 2010 dans le monde, consoles et ordinateurs confondus, le titre « GTA IV », jeu ayant comme principale caractéristique une omniprésence de la violence avec comme objectif annoncé : d’"être un simulateur de banditisme". Le personnage principal, guidé par le joueur, est  amené à voler et tuer ses victimes tout au long de l’aventure. Phénomène inquiétant, selon les propos de Michel Nachez et Patrick Schmoll[25]car "dans la plupart de ces jeux, la vision subjective précipite l’identification à l’agresseur; le joueur voit ce qui se passe à travers les yeux du personnage qu’il anime". De plus, la tendance allant vers une amélioration de la qualité et du réalisme des images, il est parfois difficile d’extraire le réel de sa projection dans l’imaginaire. Ces auteurs parlent alors d’une « fragilisation de la frontière  entre le jeu et la réalité», tout en attribuant aux jeux-vidéos un caractère socialisant : « il est dans la nature des jeux en général d’offrir un espace où s’apprend la socialité. Celle-ci y est souvent déclinée sous toutes ses modalités, y compris la violence, dans les formes de l’agression verbale et physique ». Le joueur, et donc l’enfant, prendra dans ce jeu des éléments de socialisation qu’il aura retrouvés et pour certains fort probablement adoptés via son utilisation de l’univers virtuel. La violence produite par la société pourrait ainsi participer et interagir avec l’environnement proposé de façon ludique par les médias à une jeunesse dont le devenir en sera marqué.


  1. Eléments de problématique                

Certains travaux de recherche plus récents, (Krcmar et Valkenberg, 1999 ; Greenfield, 2008 ; Wilson 2008), concernant l’impact des médias sur le comportement humain (agressivité, addiction, socialisation), en particulier sur celui des enfants dans l’apprentissage, ont le mérite de faire apparaître quelques questions : la télévision fait-elle disparaître d’autres occasions de socialisation ? Les jeux en réseaux ainsi que les réseaux sociaux sur Internet (facebook, twitter) se substituent-ils de plus en plus aux réseaux de communication traditionnels ? L’usage des médias au quotidien influe-t-il sur la réussite ou l’échec scolaire ? Mais ces travaux, comme ceux précédemment évoqués, participent de postures aux logiques et aux approches différentes, et la plupart des questions restent sans réponse définitive : impact des médias sur le comportement humain, dans le processus de socialisation, sur l’apprentissage formel voir informel, aspects substitutifs des nouveaux réseaux de communication, influence  des médias au quotidien sur la réussite/l’échec scolaire …Il paraît donc difficile à première vue pour cette étude de prétendre à un autre objectif que d'apporter quelques éléments susceptibles d'alimenter le débat, et ce à partir d’un défi proposé aux élèves d’écoles primaires en Alsace.
Ceci étant, en se fondant sur les premiers constats et analyses ressortant de la consultation des recherches sur l’influence des médias, ce travail pourrait s’inscrire dans une autre pertinence. Il est en effet possible d’interroger l’existence d’une réciprocité active ou d’une interdépendance entre les formes induites de développement d’une certaine violence sociétale, et celle se développant à travers les pratiques ludiques virtuelles. Nous pouvons ainsi nous appuyer sur le phénomène décrit plus haut comme relevant de la capillarisation, pour tester l'efficience d'une mobilisation d'une catégorie de population très exposée, les enfants (6/12ans). L'espace-temps pris par cette démarche présentée comme un défi, et devant les amener à se défaire de pratiques addictives serait alors occupé à d’autres activités dans un environnement familial et scolaire disponibles pour d’autres formes de socialisation.

 Hypothèse : un cercle vertueux

Nous faisons l’hypothèse que ces conditions contextuelles étant réunies, la prise de distance s’avère possible, et favorise en retour une amélioration des relations sociales, familiales et scolaires. Les facteurs de cette amélioration renvoient en retour au comportement global des élèves à la maison et à l’école : meilleure qualité et investissement plus important du travail à la maison et réduction de la dépendance aux écrans.

4. Méthodologie : du pari au défi
 
Cette hypothèse se présente comme un pari s’inspirant de l’aspect le plus heuristique de l’approche exploratoire, la découverte d’une réciprocité d’influences agissant sur les deux pôles de la relation, un contexte sociétal et des individus, en fonction d’une double perméabilité. La vérification de sa pertinence passe alors par la mise en œuvre d’une méthode de recherche de la preuve auprès du public concerné, et ce à travers un défi.

4.1  Genèse et contexte du défi.
Le défi dont il sera question dans cette section du texte s’inspire des travaux de Robinson (1999)[26] portant sur la réduction du temps passé devant la télévision et ses effets sur le comportement agressif des jeunes enfants. Les élèves d’une école primaire de San José, en Californie avaient été invités à réduire, pendant 10 jours, leur consommation de jeux-vidéos et de télévision. Ce défi a été relevé sous la supervision des parents. Les résultats ont démontré que cette réduction entrainait une baisse du nombre d’agressions physiques (40%) et verbales (50%). De plus, que durant cette période, les progrès les plus importants avaient été réalisés par les enfants les plus agressifs  
Dans la même perspective, nous avons proposé aux élèves de deux écoles primaires à Strasbourg, situées dans deux quartiers, urbain et périurbain, de relever un défi consistant à réduire ou supprimer pendant 10 jours, leurs temps passé devant les écrans. En outre, pour dépasser le seul niveau expérimental et dans une perspective éducativiste, un programme d’activités substitutives a été mis en place afin d’accompagner les élèves pendant le temps du défi.

4.2 Public
L'ensemble des acteurs concernés, élèves, parents et enseignants des deux écoles, a participé activement à la conception du dispositif. Ce dernier à été mis en œuvre à l’initiative de l’équipe de professionnels de l’Institut Européen d’Ecologie de Strasbourg en collaboration avec des chercheurs en sciences de l’éducation de l’Université de Strasbourg. La population visée était composée de 389 élèves (151+ 238), du CP au CM2, âgés de 6 à 12 ans.

4.3 Le dispositif du défi
Plusieurs activités ont été proposées puis réalisées durant les 10 jours du défi. Le programme regroupait des activités de découverte, lecture, dessin, création telles que : débats philosophiques, atelier dessin de BD, découverte des jardins, lecture d’histoires, atelier cuisine, balade à vélo, concours de pétanque, spectacle de danse…
Le temps demandé pour l'évitement de la pratique des jeux et des loisirs par les écrans était de 10 jours. Le choix de cette durée, calquée sur l’étude de Robinson, renvoie à l’impossibilité de majorer un temps de privation qui n'aurait pas eu les garanties de son effectuation, eu égard à la projection possible d'un engagement à tenir par les enfants. Des outils tels qu’un carnet de bord et une grille individuelle pour un relevé des points-écrans, ont été mis à la disposition des élèves.

4.4 Protocole d’expérimentation et recueil de données.
La méthodologie utilisée pour recueillir les données s’appuie sur une démarche d’enquête par questionnaire proposée aux élèves. Ces questionnaires ont été distribués aux élèves selon une temporalité établie en fonction des différentes phases du projet : avant, pendant le défi et après. La partie « avant le défi » s’intéresse à la fréquence d’usage des écrans de même qu'à l’écran privilégié entre les trois les plus utilisés : la télévision, l’ordinateur et la console de jeux. Pendant le temps du défi, l’intérêt est mis sur la difficulté de relever le défi, les relations intrafamiliales, l’investissement dans les activités scolaires à la maison et le temps de repos (sommeil). Dans un troisième temps, «depuis la fin du défi » est questionnée la fréquence d’exposition des élèves face aux écrans en distinguant les trois types d’écran cités précédemment. Il est également demandé une comptabilisation du temps passé désormais aux activités sportives, familiales et scolaires en dehors de l’école.  231 questionnaires ont été retournés soit un rendu de 60%.

4.5.  Résultats. 
 
Cette coupure/défi a été respectée dans 90% des cas. A la question « As-tu trouvé le défi difficile ? »,  près de la moitié (47% pour un établissement et 57% pour l’autre) ont trouvé ces 10 jours « un peu » difficiles. Un élève sur 6 (12% et 22%) a répondu « beaucoup ».
Pendant le défi, c’est d’abord le soutien des parents (62%) qui a aidé à ne pas « replonger » dans les écrans ; autre raison, la fréquentation d’activités et ce, pour près de la moitié des enfants. La dépendance aux écrans peut donc être réduite sans trop de difficulté si elle est remplacée par le soutien d’un accompagnement parental et des formes substitutionnelles d’investissement.
Un mois après le défi, 42% des enfants  estiment passer moins de temps devant les écrans qu’avant le défi. 32% d’entre eux disent l’inverse  et 26% n’ont pas changé de quota horaire : les 3/4 d’entre eux considèrent donc avoir changé de comportement depuis le défi : positivement ou négativement, ce changement permet de mettre en lumière pour ses sujets des pratiques qui relevaient le plus souvent de l’automatisme ou d’une habitude non discutée et  non interrogée : première étape du processus de distanciation et d’objectivation  et première incidence sur une éventuelle  dépendance.
Cette tendance peut être affinée : la dépendance au média la plus marquante reste celle vis-à-vis de la télévision : 56% des enfants  regardent autant voire plus la télévision qu’avant le défi, comme pour rattraper le temps perdu, et rattraper cette exposition perdue… alors que 58% disent se servir « moins »  de jeux-vidéos et ordinateurs : rapport au temps différent en face d’un outil-jeu qui permet plus d’autonomie et une organisation moins dépendante (le plus souvent) d’une programmation extérieure.
Au niveau des activités, le sport est davantage pratiqué, et cela à un taux significatif dans les deux écoles puisqu’ils sont 37% dans la première à faire « plus » de sport, et, tendance renforcée, 41% dans la deuxième école.
Mêmes résultats pour la lecture, la majorité lisant autant qu’avant cette « cure » d’écrans,  alors que 30% disent lire « plus » maintenant.
La console et l’ordinateur qui appartenaient aux écrans ayant le moins d’adeptes avant le défi sont donc les deux seuls écrans sur lesquels le défi (auto-privation/substitution), a eu le plus d’effet. A l’opposé, la rupture pendant ces 10 jours avec la télévision, à laquelle les enfants consacraient le plus de temps en dehors de l’école avant ce projet, n’a pas connu pareille réussite.
En ce qui concerne les travaux scolaires à la maison, on peut constater une tendance forte à la hausse. Dans les deux établissements,  58% et 38%  des élèves disent y passer plus de temps. Cette majoration temporelle ne semble pas vraiment avoir d’incidence sur le produit fini : la qualité des devoirs et des leçons reste constante selon les enseignants interrogés. Une constance qui se révèle être la même pour la concentration en classe, la fatigue des enfants en fin de journée mais aussi la qualité du travail en général. Pour surprenantes qu’elles puissent paraître, ces réponses renvoient en fait à un contexte scolaire qui n’a pas changé, elles s’accordent avec les représentations dominantes des enseignants sur la faiblesse des investissements domestiques, et l’insuffisance d’un temps aussi court pour espérer une amélioration. Enfin, le point nodal des préoccupations n’étant pas  « les devoirs », mais la violence en classe, près de la moitié des enseignants (47%) insistent plutôt sur l’amélioration des relations, entre pairs, d’abord, et entre eux et les enfants d’autre part.
 Un élément fait par contre l’unanimité des deux autres partenaires, enfants et parents, ce sont les relations familiales. Près des 2/3 des enfants (61% -59%) considèrent passer « plus » de temps avec leur famille qu’avant le défi. C’est ici le résultat le plus significatif de l’expérience, résultat qui peut laisser penser que le temps consacré quotidiennement par les enfants aux écrans est réinvesti par la sphère familiale depuis ces 10 jours.  Les relations pendant le défi au sein des familles semblaient d’ailleurs apaiser les mœurs puisqu’ils sont quasiment 80%  dans une école et 70% dans l’autre à estimer avoir connu moins de disputes avec un membre de la famille pendant les 10 jours. La relation écrans et violence semble ici se confirmer puisque ce sont ces dix jours de privation qui sont à l’origine de cette baisse importante. Cela va dans le sens du temps plus long passé avec la famille par chaque enfant.
Enfin, un point à ne pas négliger reste la qualité du sommeil des enfants participant. Ils sont en effet près de 75% dans chaque école à certifier avoir mieux dormi pendant le défi. Une amélioration qui en explique peut-être une autre, celle des relations avec l’environnement familial.
Ces résultats et l’investissement des parents et des enfants pendant ces dix jours n’ont fait que renforcer les volontés de participation des acteurs. Les enseignants sont 2 sur 3 à vouloir réitérer le défi chaque année avec néanmoins un soutien pour l’organisation d’activités. Sans être très affirmatif sur les conséquences visibles et déterminantes de ce temps de privation des écrans, chacun d'entre eux relève un « effet positif » pour les parents mais aussi pour l’école. Quand aux élèves, principaux concernés par le dispositif, ils sont 53% dans une école à vouloir retenter l’opération et seulement 38% dans l’autre. Ainsi, malgré les nombreux avantages, tant en matière de sommeil qu’en qualité des relations, offertes par ces dix jours sans écrans, les enfants ne seraient pas majoritairement partants pour retenter pareille aventure. Le défi montre ici une de ses limites : « une fois oui pour vous faire plaisir, mais pas deux » semble être le message de 55% des écoliers.

5. Discussions et perspectives

 En ce qui concerne l’influence de la télé sur la socialisation et la relation intrafamiliale, les résultats de cette recherche corroborent ceux des travaux antérieurs. En effet, près de 60% des enfants participant à l’étude, considèrent passer « plus » de temps avec leur famille après le défi. Il est également pertinent de reprendre l’interprétation des résultats du défi par rapport au comportement agressif de jeunes. Ainsi selon Michel Nachez et Patrick Schmoll [27] l’utilisation des jeux vidéo violents induit chez les enfants un comportement agressif car dans la plupart de ces jeux, la vision subjective précipite l’identification à l’agresseur. Dans cette même lignée, les travaux de Krcmar et ses collègues ont montrés que les enfants de six à huit ans, adeptes des programmes d’animation violents (avec des super-héros) considéraient l’agression justifiée et donc moralement correcte. Le défi semble avoir eu une importante incidence sur la diminution du comportement agressif des élèves participant au dispositif. Ainsi les réponses à l’enquête, révèlent que les relations intrafamiliales pendant le défi semblaient s’apaiser puisqu’ils sont quasiment 80%  dans une école et 70% dans l’autre à estimer avoir partagé moins d’agressions verbales ou physiques avec les membres de leur famille.
Par rapport aux activités de lecture, Susan B. Neumann[28] aux Etats-Unis propose la télévision comme un moyen d’apprendre à lire, mais elle expose aussi le fait que la télévision peut être, à un moment où à un autre, un « substitut » à d’autres activités de l’enfant, y compris la lecture d’un livre. Les 10 jours sans écrans, pour le peu de temps que cette période peut représenter, ont eu un impact positif sur la reprise des activités de lecture des livres. Rappelons que, de la même manière que la réduction du comportement agressif,  58% et 60% des enfants des deux écoles participant à l’étude, considèrent s’intéresser d’avantage aux activités de lecture.

La dépendance aux écrans à également été interrogée dans cette étude. En effet, il résulte que la dépendance au média la plus marquante reste celle vis-à-vis de la télévision (56% des élèves qui regardent autant voir plus la télévision qu’avant le défi). En revanche, on constate une augmentation du nombre des enfants des deux écoles (respectivement 58% et 55%) qui s’exposent « moins » aux jeux-vidéos et ordinateurs, après le défi.
Parmi les perspectives ouvertes par cette recherche, l’approfondissement du travail d’informations auprès des  parents, très présents, permettra de mieux cerner le rapport à la violence de ces jeunes avant et après le défi. Afin de mesurer l’impact de cette rupture consistant à vivre au quotidien avec une réelle baisse de consommation d’écrans, il semble d’autre part pertinent de reproduire le défi par périodes qui iraient alors en progressant. Autre chantier, ouvrir les lieux de scolarisation sur un devenir éducatif, et ainsi préparer les enfants, non seulement à devenir élèves, mais citoyens responsables et parties prenantes des enjeux sociétaux à venir :
- intégrer dans les curriculums des activités ayant pour but l’éducation aux médias qui sont aujourd’hui des éléments permanents des  quotidiens singuliers et pluriels
- refuser d’éloigner encore un peu plus les élèves de la classe et ne pas les priver d’un environnement qu’ils ont adopté chez eux.
- introduire un élément technologique commun et connu de tous pour leur permettre enfin, d’habiter ce lieu, d’habiter leur classe. Certains apprenants en effet peinent à habiter un territoire dont les règles de fonctionnement sont à distance de leur quotidien familial et sociétal ; « l’altérité est souvent absente des projets et des propositions (…) ; l’autre est renvoyé ou repéré comme se situant à la périphérie. (…) L’identité n’est pas reconnue comme un processus d’auto-construction, mais la plupart du temps comme un espace à combler dans la logique de la reproduction et de l’imitation » (Vieille-Grosjean 2009 p. 140).
Il s'agit donc pour l'enseignant, "celui qui fait signe", de rendre ses signes intégrables dans l'espace multivarié de l'élève, "celui qui vient pour grandir", et  de donner du sens aux espaces éducatifs, les rendre « habitables », c’est-à-dire y permettre l’expression de chacun, dont l’expression des sentiments. L'espace occupé ne peut donc être simplement celui autorisé par la doctrine scolaire, qui n'a qu'une ambition généraliste ou généralisante(?) et ne peut s'annoncer que comme un a-dressage, factuelle, dépendante du contexte/temps occupé, et globalisante, tournée vers un groupe qui se donne à voir comme "ensemble constitué". Or permettre l'expression de chacun, c'est également accepter la mise en arrêt du jugement, sa suspension pour accueillir la surprise  et l'imprévisible de l'inattendu et de la diversité.



Conclusion
 

Bachelard dans son introduction à la « Poétique de l’espace » (Bachelard,  1957) parle de topophilie,  amour des lieux, pour spécifier un espace occupé comme ayant une portée sociale, dans lequel les investissements sont possibles, et promises la satisfaction et la réussite. Sans prétendre que toute occupation de l’espace d’apprentissage et ou de socialisation renvoie à un « espace heureux », il est à notre avis intéressant de mettre en valeur cette notion, peu connue et peu utilisée dans les démonstrations habituelles sur les contextes proposés aux enfants et aux jeunes générations dans les différents lieux de la socialisation et du vivre ensemble. Il pourrait en effet s’agir d’en faire, après Bachelard, une des conditions premières pour la construction d’un espace revendiqué comme éducatif. Tourner énergies et regards vers une autre perception de l’éducation, celle  porteuse d’attention qui nourrit et prend soin de celles et ceux dont on déplore souvent sans raison qu’ils échappent aux univers dans lesquels nous aimerions les voir confiner. Les addictions qui sont les leurs, et dont nous craignons les zones d’incertitude, ne sont-ce pas les moyens qu’ils revendiquent pour s’extraire et subvertir nos manipulations adultes en s’essayant à des formes d’émancipation dont il nous est difficile  d’accepter les règles du jeu ?
Nous sommes alors devant un autre défi, qui regarde en priorité les adultes, et qui permettrait à nos rejetons de passer du mutisme de l'agnosie réelle ou supposée, à la posture actancielle comme sujet de faire. Parions qu’il est possible de les accompagner,  du statut d'infans, partagé par tous les individus placés dans des situations qui ne leur donnent pas ou peu la parole, et qui échouent dans les essais de "se faire entendre ou se faire comprendre", à celui d’ interlocuteurs, dans la mesure où le codage et les contenus utilisés peuvent faire sens en réciprocité et correspondre à ce qu'il peuvent entendre. Les intelligences énonciatrices et réceptrices pouvant "faire leurs preuves" et n’étant plus renvoyé à une absence.
Ce défi s’intègre et renvoie en fait à l'acte de l'apprendre. Cet acte qui est en fait rendre, et redonner (Mauss, 2003) ce qui a été transmis, puis négocié en auto-construction dans le recours au "déjà là" (Heidegger), c'est à dire à des acquis, dans une conjugaison déclinante et distanciée. Passer du "je ne sais pas" à "je me sers dans/de ce qui m'a été donné", et "je peux le faire", n'est-ce pas se donner les moyens de lire et lier, intelligere ?


Une fois lu....pas terrible !! on comprend mieux pourquoi il est resté dans un tiroir!!

Références

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[1] Ensemble des personnes de 4 ans et plus équipées à domicile d’au moins un poste de télévision quel que soit le mode de réception: hertzien analogique ou numérique (TNT), câble analogique et numérique, satellite, ADSL.
[2] Communiqué de presse - Médiamat Mensuel Le 31 mai 2010 - Mai 2010 - Du 3 au 30 mai 2010
[3] Sondage Ipsos/ Délégation Interministérielle à la Famille (DIF) 2010
[4] Jo Groebel, The Unesco Global Study on Media Violence, in Children and Media Violence, Unesco, Stockholm, 1998
[5] Dufour D-R.  Le troisième parent, in La clinique lacanienne 2007/1 (n° 12)

[6] Cf conflit cognitif et socio-cognitif dans l’approche constructiviste et socio-constructiviste de l’apprentissage.
[7] Laborit H. (1970). L’agressivité détournée : Introduction à une biologie du comportement social, Union Générale Eds., coll. « 10/18 ».
[8] Freud S.  (1997) Malaise dans la civilisation. Paris :Flammarion,
[9] Sartre J-P. (1944) "Huis clos"
[10] Girard R. (2003). La violence et le sacré : Paris : Hachette Littératures
10 Lorenz K. (1977) L'agression, une histoire naturelle du mal, (traduit de l'allemand), Paris : Flammarion



[12] Greenfield P., Zeitlin Edith, . Les jeux vidéo comme instruments de socialisation cognitive. In: Réseaux, 1994, volume 12 n°67. pp. 33-56.
[13] Proulx Serge, Laberge Marie-France, . Vie quotidienne, culture télé et construction de l'identité familiale . In: Réseaux,
1995, volume 13 n°70. pp. 121-140.
[14] Williams (1986)  “The impact of television, A natural experiment in three communities”
[15] Daecneck S., Les enfants et la télévision : Résultats et tendances de la recherche pour le Service de la recherche en éducation, Genève. 1998.
[16] Freedman, 1986, "Effect of television violence on agressiveness"
[17] Huesman et Eron, « Television and the Agressive child : A cross national comparison »
[18] Baudin F. , Neuman Susanne B.. La télévision et la lecture. In: Communication et langages. N°81, 3ème trimestre 1989. pp. 13-27
[19] Chailley M., Apprendre par la télévision, apprendre à l'école. In: Réseaux, 1995, volume 13 n°74. pp. 31-54
[20] Jacquinot G.  La télévision : terminal cognitif. In: Réseaux, 1995, volume 13 n°74. pp. 11-29.
[21] Mariet F.  Laissez-les regarder la télé. Calman Levy. 1989.
[22] Octobre S., Les 6-14 ans et les medias audiovisuels. Environnement médiatique et interactions familiales, Réseaux
2003/3, n° 119, p. 95-120.
[23] Sirota R. , Le gâteau d’anniversaire De la célébration de l’enfant à son inscription sociale. La lettre de l’enfance et de l’adolescence, 2004/1 n°55, p. 53-66.

[24] Breda I. « Les jeunes et internet, quelles représentations, quels usages et quelles appropriations en 2000 ? » in Recherches en communication. N°22. 2004.
[26] Robinson (1999)
[27] Michel Nachez et Patrick Schmoll« Violence et sociabilité dans les jeux vidéo en ligne », Sociétés 4/2003 (no 82), p. 5-17.
[28] Baudin Fernand, Neuman Susanne B.. La télévision et la lecture. In: Communication et langages. N°81, 3ème trimestre 1989. pp. 13-27

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